Khadija
gronda :
— Taisez-vous donc ! Croyez-vous que votre père ait envie d'entendre vos sottises à peine de retour à la maison ?
Zaynab, Ruqyya et Omm Kulthum pouffèrent, puis se turent. Non sans faire des mines. Fatima leur tourna le dos et adressa un regard sévère à sa mère.
L'instant d'après, Khadija se mordait les lèvres en frissonnant. La douleur que lui envoyait Al Qasim depuis le jardin où il se trouvait ressemblait de plus en plus à la pointe d'une flèche lui fouillant les entrailles.
Comme toujours, cela ne dura que le temps d'un éclair. Le souffle coupé, elle s'essuya le front. Puis lui vint un mince sourire : combien de fois avait-elle attendu le retour de son époux en sentant la vie de leurs enfants lui marteler les flancs ?
Enfin Muhammad la prit dans ses bras. Il se montra doux et enjoué, comme il savait l'être. À ses filles aînées il offrit les bijoux, bracelets d'argent et colliers, qu'il leur avait rapportés. L'occasion pour elles de pousser de nouveaux cris. De nouer leur bras autour de son cou et de le couvrir de baisers. Il se laissa faire un instant, puis, les écartant :
— Je sais que vous avez beaucoup de choses urgentes à me demander. Mais elles devront attendre.
Fixant Ruqyya, il ajouta :
— Au seigneur Othmân, j'avais dit : une année. Elle est loin d'être écoulée.
La joie excessive des aînées s'éteignit aussitôt. Ce qui plut à Fatima.
Elle se plaça devant son père, qui s'était assis sous le tamaris au côté de Khadija.
— Moi, j'ai quelque chose à te demander pour lequel il n'est pas besoin d'attendre une année.
— Ah ? fit Muhammad. Quoi donc ?
Fatima surprit le coup d'œil amusé de Khadija.
— Pourquoi te moques-tu alors que tu ne sais pas ce que je vais dire ? lança-t-elle à sa mère.
— Moi, je ne me moque pas, s'empressa de dire Muhammad. De toi, je ne me moque jamais.
— Je veux que tu me traites comme ton fils. Pour toi, je ne veux pas être une fille. Je veux être ton fils, comme Al Qasim.
La surprise laissa Muhammad muet. Khadija le vit pâlir, le regard soudain grave. Il se tourna vers elle comme pour lui demander conseil. Elle se garda d'ouvrir la bouche. Alors il tendit les mains et attrapa Fatima par la taille pour l'attirer contre lui.
— C'est une fille que je serre contre moi, chuchota-t-il à son oreille. Mais je sais qu'elle a le cœur et le courage d'un garçon.
— Non, protesta Fatima en repoussant l'étreinte. Ça ne suffit pas. Tu dois me traiter comme ton fils.
Muhammad affronta son regard de colère avant de lui baiser le front.
— Aujourd'hui, tu es encore ma fille au cœur de garçon. Demain, qui peut savoir ?
Le déclin des idoles
Cette nuit-là, Khadija demeura seule sur sa couche, comme toutes les autres nuits. Que son époux ne la rejoigne pas n'était pas une surprise. Qu'aurait-il pu faire d'un corps de vieille comme le sien, lui qui était encore dans la grande vigueur de son âge ?
Cependant, comme cadeau de retour, Muhammad lui avait offert un sac de sukar. Le sucre de leurs épousailles ! Toute la nuit, Khadija tint le sac ouvert près d'elle, y puisant des pincées de grains bruns et les déposant entre ses lèvres où ils fondaient lentement. Dans cette douceur qui envahissait son corps lui vint le souvenir de toutes les fois où Muhammad l'avait rejointe sur cette même couche et où le désir fondait entre leurs lèvres.
Ce fut une belle nuit. Une nuit comme Khadija n'en avait pas passée depuis bien longtemps. Étrangement, la douleur que lui lançait Al Qasim depuis le jardin se fit plus rare et moins violente, comme si le sucre de Muhammad parvenait à l'adoucir.
Cependant, à la première lueur de l'aube, quand elle fut debout, enjouée et presque rajeunie, espérant préparer elle-même le premier repas du matin pour son époux, Khadija trouva sa cour en émoi.
Zayd lui annonça :
— Ne cherche pas Muhammad, saïda. Il est parti avant que le jour ne se lève.
— Parti ? Parti où ?
— Je ne sais pas. Il ne l'a pas dit. Il a seulement annoncé qu'il serait de retour au coucher du soleil.
Du mieux qu'elle put, Khadija cacha sa déception. Elle retint toutes les questions qui déjà lui dévoraient le cœur.
Alors que les servantes approchaient de la cuisine pour relancer les feux, il y eut des cris. Khadija les rejoignit. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre ce qui provoquait cette émotion : les autels d'Hobal et
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