Khadija
revenir. Mais Al Qasim m'appelait « petit frère ». Et mon père me dit : « Mon second fils ! » Je ne veux pas être une fille aussi bête que Zaynab et Ruqyya. Je veux être un garçon. C'est beaucoup plus intelligent, les garçons. Quand mon père sera de retour, je lui dirai que je ne suis pas une fille. Je lui dirai : « Tu dois être avec moi comme tu étais avec Al Qasim. »
Cette nuit-là, sur sa couche, les yeux ouverts sur l'obscurité, Khadija entendait les paroles de Fatima. Elle ne savait si elle devait s'en réjouir ou s'en attrister.
Waraqà disait : « Courbe ton orgueil, sois modeste. »
Muhavija disait : « Ne te crois pas responsable de tout ! »
Pourtant, n'était-ce pas elle, Khadija, qui avait planté ces pensées dans le cœur de Fatima, l'espérant comme un fils, s'adressant à elle comme à un fils quand elle n'était encore, dans son ventre rebondi, qu'une vie sur le seuil ?
Il était vrai aussi que Muhammad avait fait sauter en l'air sa fille Fatima tout bébé en s'écriant : « Voici mon second fils ! »
Était-ce une faute ?
Se pouvait-il qu'une fille remplace auprès de son père le fils qui ne lui était pas venu ?
Devant les yeux ouverts de Khadija, l'obscurité possédait plus d'énigmes que de réponses.
Cette même nuit, alors qu'elle ressassait ces pensées, Khadija ressentit pour la première fois une douleur aiguë, fulgurante, qui paraissait partir de ses reins et lui ouvrir la poitrine.
Cela advint quand la lune était haute, blanchissant le ciel. Puis une seconde fois, un peu avant l'aube. Khadija grimaça et gémit. Mais, la deuxième fois, un sourire inattendu tira doucement ses lèvres. Elle songea que c'était sans doute une douleur semblable qu'avait ressentie Al Qasim avant sa mort.
Peut-être son fils, de là où il se trouvait, lui faisait-il signe en se déchargeant sur elle, sa mère, de la dernière douleur qui l'avait emporté en ce jardin radieux qui accueillait, selon le hanif, les enfants disparus ?
Aussi, au lieu de craindre le retour de ce mal, Khadija s'en sentit curieusement soulagée.
— Ah, murmura-t-elle dans l'obscurité. Enfin ! Bienvenue à la douleur d'Al Qasim !
Une fille au cœur de garçon
Muhammad, à la tête de la caravane, fut de retour avec les premières chaleurs. Selon la tradition, Khadija et ses filles allèrent le guetter depuis la porte du Nord, sur la route de Jarûl. Les Bédouins crièrent leur joie, les femmes lancèrent leurs youyous de bienvenue. Abu Talib et les puissants des clans amis s'avancèrent à sa rencontre et l'escortèrent jusqu'à l'entrée de la cité.
Zayd et les serviteurs conduisirent les chameaux lourdement chargés aux enclos. Muhammad, lui, s'avança vers la Ka'bâ, franchit les murs fraîchement façonnés et se mouilla le front et les lèvres à la source Zamzam. Puis il s'approcha de la Pierre Noire, s'y prosterna et tourna sept fois sur la place sacrée en compagnie d'Abu Bakr et de son oncle Abu Talib.
Quand il se fut incliné une dernière fois devant la Pierre sacrée, ceux de Mekka vinrent le saluer avec le respect dû aux puissants et se réjouir de son retour.
Pendant ce temps, Khadija et ses filles revêtirent des habits de fête. Seule Fatima refusa de porter autre chose que sa robe ordinaire. À présent, assise sous le tamaris de sa cour, Khadija sentait son cœur cogner entre ses côtes comme si sa poitrine était devenue trop petite pour le contenir. L'âge lui grisait les cheveux, mais, sous ces seins qu'un jour son bien-aimé avait tétés comme un enfant, son cœur battait toujours aussi fort.
Combien de fois avait-elle ainsi attendu son époux de retour de pays qu'elle n'avait jamais visités ? Combien de fois l'impatience de l'attente lui avait-elle fait tourner la tête ?
Aujourd'hui, cependant, dès qu'elle l'avait vu, au retour de la Ka'bâ, franchir la grande porte bleue, elle avait deviné que Muhammad n'était pas le même homme que celui qui avait quitté Mekka quatre lunes plus tôt.
En l'apercevant, il précipita son pas et tendit les bras vers elle.
— Khadija, mon épouse !
Ils se sourirent. Sur le visage de Muhammad, elle lut l'amour qu'il lui portait autant que s'il avait prononcé des mots d'amant.
Pourtant, ce n'était pas le même homme. Khadija n'aurait su dire pourquoi.
Agacée par ses filles aînées qui jacassaient, pleines d'excitation, et remplissaient la cour de leurs piaillements, elle
Weitere Kostenlose Bücher