Kommandos de femmes
vite quand une souris s’approche et nous nous remettons vite à nos places. Ce jeu de cache-cache a l’avantage de rompre la monotonie et de nous tenir en éveil.
— En tout cas, je ne peux m’empêcher de penser au film de Charlie Chaplin « Les Temps modernes » quand je revois notre tourniquet. C’est surtout la scène où il emporte la clef avec laquelle il a tourné des vis toute la journée et qu’il utilise en sortant pour tourner les boutons d’une jupe ; c’est exactement l’état dans lequel je me trouve en me levant. Je me surprends souvent à faire instinctivement le geste que j’ai fait pendant le travail. Et, même le dimanche, il m’arrive quelquefois de le faire encore. Quand je m’en aperçois, j’éclate de rire et mes compagnes s’étonnent de cette hilarité subite qui n’a aucune raison apparente. Quand je leur explique la raison, elles me disent que cela leur arrive également. C’est un réflexe purement nerveux.
— À la machine nous sommes cinq. En suivant le mouvement de gauche à droite il y a d’abord Tatjana. Elle mouille la forme en fer avec une éponge. C’est une femme d’environ quarante ans, Russe, originaire de Moscou. Elle est grande et a une chevelure magnifique, d’un blond blé d’or en tresses qui lui entoure la tête et que cache le foulard mis réglementairement, ne laissant voir aucun cheveu. Tatjana est très distinguée et c’est énorme, dans les circonstances dans lesquelles nous vivons. Elle ne se fâche jamais. Devant la machine, elle demeure toujours calme, bien droite, mouillant la forme avec des gestes mesurés et cela lui confère une sorte de noblesse qui repose infiniment. Elle est d’ailleurs très respectée par ses camarades russes et, plus d’une fois, elle aplanit les difficultés.
— Andrée, originaire de Toulouse, est très brune et elle a des yeux magnifiques. Elle est la plus vigoureuse et la plus adroite de nous toutes. C’est elle qui pose le masque sur la forme. Comme il doit épouser étroitement la forme, il est moins large qu’elle et il faut tirer fortement pour l’enfiler de sorte que le soir, Andrée a des ampoules aux mains. Mais elle ne s’en plaint pas. Andrée est certainement la meilleure camarade que j’aie jamais connue. Le dimanche, quand on demande des volontaires pour une corvée quelconque, elle y va toujours. Elle fait ça discrètement et je suis sûre que beaucoup de camarades ne s’en sont même pas aperçues.
— Un détail montrera encore mieux le caractère d’Andrée. Un matin nous rentrons de l’usine. Appel, fouille et comme tout semble bien marcher, nos souris nous font entrer dans le block. Une partie s’y trouve déjà, entre autres Andrée et moi-même, lorsque la souris découvre des déchets de caoutchouc par terre. Elle hurle, demande qui les a jetés là. Pas de réponse. Alors elle décide de garder les camarades dehors jusqu’à ce que la coupable se dénonce. Personne ne bouge. Entretemps, nous nous étonnons de ne pas voir arriver nos camarades, nous nous renseignons et apprenons les faits. Pourquoi ne nous a-t-on pas fait ressortir ? Mystère. Qui peut percer les desseins des souris ? Bref, nous sommes là et nous nous demandons comment faire pour que les camarades, mortes de fatigue, puissent enfin entrer. Et la colère de nos souris monte. Ça hurle de plus en plus fort. Comme personne ne se dénonce, Andrée s’avance vers moi et me dit qu’elle veut le faire à la place de la coupable. Elle me demande de venir avec elle pour faire l’interprète. Je refuse. Finalement la coupable, cette pauvre malheureuse, se dénonce et nos camarades peuvent enfin entrer. Andrée savait bien ce qui l’attendait mais elle n’a pas hésité à se sacrifier pour les autres.
— Léone, méridionale, avec un accent savoureux, soupe au lait, mais bonne fille, est une amie inséparable d’Andrée. Elle pose le nez dans la fabrication des masques. Elle a vingt-cinq ans, comme Andrée, mais elle n’est pas mariée. Ses mouvements sont très précis. Elle est ordonnée et énergique et s’occupe d’Andrée comme une sœur. Elle se fâche quand Andrée accepte une corvée « parce que ce sont toujours les mêmes » . Pourtant elle la suit souvent en ronchonnant un peu. Elle est bavarde et aime raconter des histoires amusantes quand elle n’est pas trop fatiguée. Elle se décourage plus facilement qu’Andrée, elle est aussi plus méfiante qu’elle. Je suis placée à
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