Kommandos de femmes
raison de sa résolution.
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— Six xv semaines environ après notre arrivée à Hanovre, notre apprentissage est fini et nous devenons des ouvrières régulières, c’est-à-dire soumises au rendement maximum. Nous devons fournir douze mille masques par équipe en onze heures de travail. L’usine propose de nous favoriser si nous augmentons le rendement imposé. Nous serons payées au moyen de primes, une cantine sera ouverte au block ; elle acceptera nos bons en échange de « délicatesses ». C’est Anne-Marie, l’« Anweiserin », c’est-à-dire la traductrice à l’usine, qui en rapporte la nouvelle au block en revenant du travail. D’abord éclate une espèce de joie : nous pourrons acheter de quoi manger et nous avons tellement faim ! Puis la joie tombe. Pendant tout l’après-midi on ne parle plus de primes ; mais on en parle de nouveau le soir dans tous les lits, dans toutes les chambres, et le matin nous savons que nous devons les refuser. Nous essayons d’abord d’obtenir de l’usine même qu’elle renonce à son cadeau, car il va nous coûter cher. Toutes celles qui connaissent l’allemand parlent en cachette aux contremaîtres, aux ingénieurs, et tous les civils savent bientôt que nous ne voulons pas d’argent, parce que nous sommes des Françaises forcées de travailler pour l’ennemi.
— Quinze jours se passent. Le tarif officiel des primes est affiché. Quinze jours encore. Nous espérons déjà que l’usine a fait accepter notre refus ; mais un soir en revenant du travail, l’Oberscharführer et la « Rousse » nous attendent, les tickets-primes en mains.
— On appelle les bénéficiaires. La première refuse ; elle est jetée à terre. La seconde refuse, elle est battue. La troisième accepte, mais froisse sa prime ; une gifle lui rappelle qu’elle n’est pas libre. La quatrième accepte sans réagir, et nous passons toutes, honteuses, tendant la main. Rentrées dans nos chambres, nous faisons un paquet de tout ; il est clos, ficelé, nous ne profiterons pas de ce paiement imposé. Le dimanche suivant, à l’appel du matin, on annonce l’ouverture de la cantine pour l’après-midi. Nous sommes dans un état d’excitation extrême. Nous attendons toutes les violences et nous avons peur ; et en même temps, nous sommes enivrées de notre audace et de la découverte de notre union. Jusqu’à présent, les « souris », éliminées du contrôle du travail, n’ont aucune donnée sur le travail individuel. Les faibles, les fatiguées, sont protégées par cette ignorance. Que nous ayions des primes, et le travail de chacune sera connu. Celles qui fourniront le moins risquent toutes les brimades et surtout la plus pénible, la suppression de la nourriture : qui ne travaille pas ne mange pas.
— À 4 heures, la cour est vide. Les déportées sont toutes dans leur chambre ; du « revier » on surveille les manœuvres de la grande attaque. La « Rousse » a déjà ouvert vingt boîtes de salade de raves rouges. Elle aligne des crèmes de beauté, déballe des brosses à dents, de la pâte dentifrice (la plupart d’entre nous n’ont ni brosse à dent, ni dentifrice). Elle découvre un grand bocal de harengs en saumure ; nous en avons l’eau à la bouche. C’est maintenant l’heure H. Dans les couloirs, « Roquet » annonce l’événement d’une voix presque douce : « La cantine est ouverte. » Personne ne bouge. Dans toutes les chambres, les déportées somnolentes continuent, indifférentes, leurs occupations, mais… le cœur bat un peu plus vite. Roquet reprend, un ton plus haut : « La cantine est ouverte. Distribution de ravitaillement. Tout le monde dehors. » Personne encore ne l’a entendue. La suite est une confusion de cris. Les « souris » sont ameutées ; elles sont partout, dans les couloirs, dans les chambres, et notre sortie se fait à travers leurs rangs haineux.
— Nous voici dehors, Russes et Françaises, alignées, silencieuses. Nous avons deux heures pour réfléchir.
— Quand la « chef » revient, aucun mouvement ne se dessine dans nos rangs. Elle nous crie des injures, nous menace : « C’est une émeute, vous saurez ce qu’elle vous coûtera. »
— Nous sommes gonflées à bloc, fières de notre sacrifice. Quel que soit le prix de notre entêtement, nous ne céderons pas.
— Quelques heures plus tard, tout l’état-major revient. La « chef » qui brandit une énorme paire
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