Kommandos de femmes
minutes les avions, un éclat formidable. Je suis à l’entrée de l’abri avec Denise et Madeleine. Je suis soufflée. La bouche pleine de sable. Nous croulons les unes sur les autres. D’autres bombes explosent. Fumées. Les blocks sont en flammes. Tout brûle dans le camp. Effondrements. Encore d’autres bombes. Il faudrait un miracle pour en réchapper… Deux Polonaises sont tuées, l’une au bord de l’abri, l’autre à la grille. De l’autre côté des barbelés, nous découvrons cinq cadavres d’hommes. Nous nous regroupons tremblantes, sur une petite place garnie d’arbres.
Deuxième alerte. Une vague passe. Nous nous poussons dans un abri provisoire, minuscule. Les Polonaises hurlent ; elles sont impossibles. Cette vague est pour Siemens. Bombardement intense. Siemens est en flammes. Siemens est en cendres. D’où sortons-nous ? C’est incroyable ! Miraculeux ! Le soleil, boule de feu, est voilé de nuages noirs. Nous pleurons, nous nous embrassons. Nous sommes encore vivantes. À l’appel, il manque vingt-six femmes. La soupe est sauvée. Vers trois heures : appel, départ précipité sur les routes. Plusieurs colonnes se rejoignent. Nous sommes, paraît-il, près de trois mille en marche vers le camp provisoire d’Azherof xix .
V
NEUBRANDEBOURG
Il y avait xx quatre à cinq kilomètres de la gare au camp. Il a fallu les faire au pas de course, dans la nuit noire. Les coups de bâton nous arrivaient sur la tête. Nous n’avions déjà plus de force après les dix mois passés à Ravensbrück, avec leur jus de rutabagas, leur soupe de citrouille, de betterave, tous ces légumes pour les bêtes. Nous n’avions plus la force de réagir, les Aufseherinnen nous administraient la bastonnade ; nous nous disions qu’elles étaient enragées ou hystériques. Le moral était bien bas.
Neubrandebourg était un bled, mais l’on voyait la plaine que l’on distinguait à l’infini par-delà la clôture des barbelés. On arrivait sur un grand terrain dénommé place d’appel, à gauche les cuisines, à droite les baraques noires. On nous avait mises dans le block 15. Ensuite, nous avons été transférées au block des Françaises, le block 3. Il était plus loin, au fond, derrière les cuisines. Il comprenait un petit réfectoire, tout petit, mais qui ne servait à rien, la blockowa ne voulant pas que l’on s’en serve pour ne pas donner de mal à la stubowa, la fameuse Georgette, une fille des rues qui était pour nous une véritable panthère et qui volait tous les colis de celles qui en recevaient.
Il y avait un seul dortoir, immense, mais très obscur, plein de châlits en bois comme à Ravensbrück, de trois étages, très sales, et des poux à discrétion. L’installation sanitaire consistait en deux baraques qui se trouvaient assez loin. Dans l’une, des robinets et une douche qui fonctionnait une fois par semaine. Il fallait passer dessous à vingt-cinq ou trente à la fois. Nous nous poussions, nous bousculions et nous frottions les unes contre les autres, avec tout le pus qui dégoulinait sur les voisines plus ou moins atteintes et cela répugnait les moins atteintes.
L’autre baraque, un banc de béton percé de douze trous, six de chaque côté, servait de w.c. Chez les Boches, pas de pudeur, nous nous accroupissions les unes à côté des autres sur six trous et les unes derrière les autres sur les six autres trous. Les douze étaient toujours occupés. Aucune pudeur, cela aurait été bien impossible de faire autrement. Nous déversions nos excréments les unes sur les autres. Il en surgissait des injures et même des coups.
Entre le block 3 et les miradors, un terrain avec un tas de décombres. Puis à côté, plus près du block 3, se dressait une autre baraque qui se séparait en trois. L’une était l’étuve et l’épouillage, la deuxième fut au début le cachot et dans la troisième il y avait du charbon pour les blocks des Aufseherinnen. Dans ce cachot on enfermait les pauvres folles.
Un jour, on m’a emmenée pour aller en chercher une et pour la conduire à Ravensbrück. Elle ne voulait pas sortir. L’homme qui était venu pour la prendre m’avait demandé de la persuader de venir avec moi car on avait remarqué qu’avant de tomber folle, elle était souvent avec moi. Elle ne parlait pas le français, elle recherchait ma compagnie et m’appelait mouty ou mamouchka. Il paraît que cela veut dire maman, ou quelque chose de ce genre. C’était une
Weitere Kostenlose Bücher