Kommandos de femmes
qui avait été en prison, elle avait la réputation d’être une brute et cette réputation était justifiée ; c’était la brute la plus vulgaire et féroce que l’on puisse trouver sur le globe, une véritable tigresse qui nous battait à tour de bras, à coups de pierre, de bâton (elle en avait toujours un dans les mains), à coups de bêche ; elle fonçait sur nous comme un bolide, pire qu’un taureau furieux – m’administra une raclée de coups de pied dans les reins dont je me souviendrai toujours, après m’avoir fait dégringoler du lit du troisième étage. Je me suis retrouvée par terre avant d’avoir compris ce qui m’arrivait. Elle m’a emmenée trouver l’Oberaufseherin du camp, une syphilitique, « la Pilenne », elle aussi très cruelle, qui m’a donné deux gifles et un coup de pied dans le bas des reins dont je me ressens encore. Je crois que cela m’a atteint la colonne vertébrale et la hanche car je n’ai jamais cessé d’en souffrir depuis. Ce coup de pied m’a envoyée au moins à dix ou quinze mètres plus loin, tomber dans l’auge où l’on faisait boire les bœufs.
Puis l’on m’a mise avec la Vali, à la kolonne des disponibles Verfügbaren, en attendant mon jugement. C’était très pénible, beaucoup battue, et moins de nourriture qu’à l’usine. Un soir, on est venu me chercher, on m’a jugée et l’on m’a dit que le lendemain l’on me conduirait au Bunker (prison) en attendant d’être reconduite à Ravensbrück pour être pendue.
L’Oberaufseherin, la Pilenne, est devenue folle dans la nuit qui suivit. Elle tua des officiers du camp qui couchaient à leur baraquement. On la conduisit à l’hôpital de Neubrandebourg et nous n’avons plus revu la Pilenne. Celles qui avaient été punies par elle ont été remises aux colonnes de punition. C’est à cette occasion que j’ai été remise à la colonne de la Vali. Elle m’en a fait baver cette sauvage de bande rouge. Je suis tombée malade, j’avais du pus qui dégoulinait partout sur mes jambes et sur mon corps. Je n’étais pas guérie de mon abcès au sein. J’ai été au revier avec quarante et un de température.
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En novembre xxiv , je tombe malade ; maman était à l’infirmerie pour abcès aux jambes, seulement moi j’étais avec des tuberculeuses… j’étais au chaud, je n’avais plus d’appel et je me trouvais heureuse. Maman venait me voir avec son bon sourire deux fois par jour. Au bout de trois semaines, elle m’a suppliée de sortir. Les S.S., avec leur tête de mort sur la casquette, étaient déjà venus deux fois au revier ; il ne fallait pas qu’ils me trouvent une troisième fois car c’était Ravensbrück et la chambre à gaz, mais ça je ne le savais pas. Maman, elle, le savait comme elle savait aussi que je faisais une pleurésie aux deux poumons. Je ne l’ai su qu’à mon retour. Je suis donc sortie, avec regret, et comme à l’usine il n’y avait plus de place, on m’a envoyée, par une température de moins vingt-huit, faire les nuits dehors, sur une colline, décharger des wagons de briques. Alors là, le courage nous a abandonnées car nous étions quatre Françaises avec des Russes et des Polonaises. Notre chef de block avait tué son père et sa mère, et puis les Russes et les Polonaises étaient plus habituées que nous à ce climat ; elles ne nous aimaient guère, nous traitant souvent de fainéantes. À minuit, on nous servait une soupe froide, immangeable ; alors à six heures, lorsque nous rentrions au camp, je me précipitais voir ma mère et je pleurais. J’avais vraiment envie de mourir. Ce fut la seule période où le courage m’a vraiment manqué. Pauvre maman ! Comme elle a souffert de ne pouvoir rien faire pour moi. Elle me donnait une partie de son pain, je lui donnais ma soupe. C’est beaucoup grâce à elle si je suis revenue…
Mi-décembre, de nouveau malade, je retourne à l’infirmerie et, oh miracle ! je me retrouve avec maman, dans le même lit, car nous étions deux par lit. Mon plus beau jour de déportation pour moi ce fut le jour de Noël que nous avons passé ensemble. Nous faisions des projets de retour ; maman ne savait pas que son fils était arrêté et elle parlait souvent de lui, en homme libre…
Le 28 décembre, nous sortons toutes les deux de l’infirmerie et nous sommes affectées à la colonne de briques. Maman est faible, alors je prends une brique de plus pour que sa charge soit moins
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