Kommandos de femmes
de raccommodage, de chiffons ; Hélène, Renée en font également partie. Dudule, le chef de la couture, est un hitlérien cent pour cent, mais il a vécu en France quelque temps, il ne déteste pas les Françaises, il dit que nous sommes considérées comme terroristes dangereuses.
Nous traînons sur le travail, mais c’est à choisir : le faire ou repartir à Ravensbrück. Nous savons ce que cela veut dire : Émilienne, M me Rouillé, Joséphine, Nana, considérées comme inaptes y sont reparties, elles sont passées par le block 27 et la chambre à gaz. Nous mettons surveillantes et chef d’atelier en confiance, je crois que c’était la meilleure formule. Quelques jours après, ils sont moins hargneux, la surveillance se relâche, et à nous d’agir.
Chère petite Marie, tu riais de mon cafouillage, avec ces plaques. Comme je tremblais quand les caisses revenaient ! « Mauvais montage ! » Toi, tu ne voulais rien faire, à part égrener des chapelets. C’était ton moyen de nous soutenir. Six semaines après notre arrivée, je change de travail. J’ai quelques inquiétudes, m’ont-ils découverte ? Je fais équipe avec cette petite Espagnole devenue ma voisine de lit ; mon amie, ma Juliette si bonne, si triste aussi. Nous avons chacune une petite machine ; nous devons emboîter vis et écrous sur une plaque. Je me moque de ce que ce travail peut être. J’ai fait une découverte. Avant nous, d’autres ont rempli des caisses de ce même travail et elles sont là à deux pas. Pendant la demi-heure de la soupe, nous sommes seules ; il sera facile, avec l’aide de Madeleine, d’égaliser le nombre de plaques que nous devons fournir le soir : 12 à 1 500. Ce travail est pesé, il nous faut en faire une certaine quantité. Je dissimule les pièces subtilisées dans mon tiroir, et de temps en temps, j’en passe à mes deux amies.
Ma Juliette a mal aux yeux, et elle ne veut pas travailler pour « eux » , ce qui ne l’empêche pas, avec de la laine volée par Hélène, de me tricoter des hauts de chaussettes.
— Tu as froid à tes jambes, me disait-elle.
Oui, nous avons froid, faim, peur.
Septembre est très frais dans cette région. La robe de coton est bien trop légère pour réchauffer notre corps tremblant pendant la pause du matin à cinq heures un quart, et celle du soir au retour du camp à 6 heures, où nous attendons quelquefois plus d’une heure le bon vouloir de ces garces de S.S. Lorsque nous sommes libérées, c’est la course au block, pour s’approprier les gamelles. Les Polonaises ne font pas de cadeaux ; elles resquillent et volent (tout au moins un certain nombre d’entre elles). Je réussis souvent à garder une pile de gamelles pour mes camarades. Je cours encore bien et arrive souvent la première, sans quoi, nous devons manger derrière ces femmes encore plus sales que nous.
La soupe est, en général, la même : l’éternel rutabaga, l’éternelle petite tartine que nous voulons garder pour le lendemain matin, si une « Polack » ne nous la vole pas la nuit. Quelquefois, un petit carré de margarine, une cuillère à café de sucre, deux pommes de terre que nous roulons dans le sucre, ce qui nous semble délicieux. Nous allons jusqu’à dire : « Nous ferons cela chez nous », comme si nous devions rentrer un jour !
Parfois, le dimanche, jour de repos, à moins d’une fantaisie de ces dames, de nous faire pauser deux heures, nous sommes libres de laver notre linge à l’eau froide, avec une cuillerée de lessive. Pour le sécher, rien ! et encore, si nous lavons la chemise, nous gardons la culotte afin qu’il nous reste quelque chose sur la peau. C’est ainsi que nous faisons le tour de nos baraques, en tenant à bout de bras la pièce lavée. Le linge n’est changé qu’une fois par mois ; les chaussettes n’ont jamais été lavées jusqu’à notre libération.
Les fouilles dans ce camp sont à la mode. Elles nous démoralisent. En hiver, par la neige, le gel, la pluie, le vent, nous attendons trois ou quatre heures dehors que nos paillasses soient visitées, secouées. La cause ? Une dénonciation. Ces Françaises ingénieuses se font des petits cadeaux pour la fête, l’anniversaire d’une amie. Selon les dispositions artistiques, les doigts de fée de l’une ou l’autre, façonnent un mouchoir brodé ou ajouré, une écharpe tricotée, un gilet de papier – voire même des cendriers – pour l’époux ou les fils
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