Kommandos de femmes
50 : « Pitié pour moi Seigneur…» et le texte des Béatitudes. C’était un tour de force, car il était interdit d’avoir papier, crayons, comme aussi serviettes et maints autres objets. Et les fouilles étaient fréquentes.
— Ainsi, tous les dimanches, après nous être épouillées, Mado et moi allions-nous prier, et parler de notre libération.
— Nos cheveux avaient poussé un peu ; et, la coquetterie prenant le dessus, et aussi le désir de narguer les Allemands, nous chipions des bouts de fils électriques sous tube de plastique qui, à l’usine, nous servaient à nos travaux de montage. Nous les utilisions comme bigoudis : les soirs où il n’y avait ni alerte, ni punition, c’était notre passe-temps de nous coiffer. Nous agrémentions ainsi nos courtes veillées. À cause de ces fils de fer, souvent ramassés dans les rebuts d’ailleurs, on nous accusait de sabotage et nous punissait : nous volions le matériel de la « Grande Allemagne ».
— Quand nous avions très froid, nous prenions à l’usine des pièces de carton ondulé qui servaient aux emballages et nous nous en faisions des espèces de sous-vêtement, entre la chemise et la robe, ou nous les mettions dans les lits comme couvre-pieds. Naturellement, quand on s’en aperçut, il y eut des fouilles régulières, et cela aussi était considéré comme du sabotage et puni.
— À Beendorf comme à Ravensbrück, les femmes confectionnaient ces fameux carnets où elles copiaient des « recettes de cuisine », compensation à notre faim. Pour moi, avec de vieilles factures ramassées dans les corbeilles à papier de l’usine et un bout de crayon que m’avait offert « Petitbras », ce sont des mots et des petites phrases d’allemand que j’inscrivais dans un carnet ; j’avais composé ainsi une espèce de vocabulaire français-allemand à mon usage. Or, à l’occasion d’une fouille, mon carnet fut confisqué ; à ce moment-là, mon œil droit suppurait ; « Petitbras » eut pitié de moi et m’envoya à l’infirmerie de l’usine où je passai une journée au repos ; le soir, de retour au block, quatre cents d’entre nous étaient accusées de s’être plaintes aux contremaîtres pour se faire octroyer du repos à l’infirmerie ; nous étions condamnées chacune à vingt coups de bâton. Une kapo allemande nous infligeait le châtiment devant tout le camp réuni en « appel ». Les cris des deux premières qui le subissaient me firent frémir et je suppliais Dieu de m’aider à ne pas me plaindre. Quand mon tour arriva, l’Aufseherin me reconnut : c’était celle qui avait confisqué mon vocabulaire. — « Ah ! c’est toi qui apprends l’allemand ? » — « Oui madame, et d’expliquer, avec mon baragouin, que je ne m’étais pas plainte, mais je n’avais fait qu’obéir aux ordres du contremaître. J’en fus quitte pour « une heure debout face au mur et privée de pain ». J’avais bien de la chance !
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Noël 1944. Quand Noël arriva, il y avait cinq mois que nous n’avions pas quitté nos sous-vêtements d’hiver et nos robes de laine rayées dont on nous avait revêtues en plein août à Ravensbrück.
— Le matin du 25 décembre, on annonça une distribution de vêtements propres : dans le hall, où était dressé un arbre de Noël, toutes les femmes de ma chambrée durent se dévêtir devant la porte des douches, et, bousculées par le S.S. qui nous poursuivait de sa cravache : Schnell, schnell… : courir nues jusqu’à l’autre extrémité du hall, où une Allemande donnait à chacune des sous-vêtements et vêtements d’été, soi-disant désinfectés, mais tout maculés. Quel Noël ! De retour dans la chambrée, les Polonaises essayèrent de chanter : « Mon beau sapin » , mais cela se mua en sanglots. Le chapelet murmuré en polonais par les unes, en français par les autres, finit par ramener un peu de paix.
— Un nouveau transport de Polonaises en janvier nous amena, entre autres, une quarantaine de femmes bizarres : muettes, l’air ahuri, ne sachant pas se presser dans le tunnel, ni courir pour aller à la soupe, se faisant houspiller et battre par les kapos… C’étaient des religieuses, des contemplatives : enfermées dans leur monastère depuis quarante ans, elles ne savaient pas qu’il y avait une guerre, ne connaissaient même pas le nom d’Hitler. Elles se demandaient pourquoi elles étaient là… Nous avons tâché de les
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