Kommandos de femmes
happées par elle et c’étaient alors de déchirants cris de douleur.
— Les machines où le travail s’avérait particulièrement pénible étaient celles qui nécessitaient la position debout. J’ai travaillé sur l’une d’elles, grosse machine à plusieurs forets qui demandait une attention de tous les instants. J’avais, à cette époque, une grosseur au sein gauche devenu rouge et dur, si bien que, chaque geste du bras me causait une douleur qui m’arrachait des larmes. Je m’affaiblissais de plus en plus et je compris que je ne pourrais plus tenir longtemps dans de telles conditions, c’est pourquoi risquant la schlague de vingt coups de bâton, je cassai tous les forets de la machine en perforant les pièces. Je reconquis ainsi le droit à une place assise à une autre machine.
— Naturellement, nous faisions du sabotage. Nous manquions volontairement les pièces ou alors les travailleuses de jour repassaient inlassablement les pièces fabriquées par celles de l’équipe de nuit et vice versa. Vint l’époque où les matériaux firent défaut. Malgré tout, les Allemands se jouant sans doute la comédie à eux-mêmes, exigeaient que l’usine tournât à plein. Il fallait leur donner l’illusion d’un travail intensif et continu, surtout quand apparaissait le grand chef à la blouse blanche. Malheur à celles qui ne l’avaient pas compris. C’est ainsi qu’une pauvre Polonaise inactive à sa machine, près de moi, faute de travail, se vit octroyer par notre meister les vingt coups de bâton traditionnels, alors que, de mon côté, j’avais passé toute la nuit à tourner indéfiniment la même pièce.
— Une seule fois, pendant ces longues heures, Erna, notre kapo, condamnée allemande de droit commun – elle avait, parait-il, tué sa mère à coups de fer à repasser, nous conduisait aux w.c. Il y avait beaucoup de femmes pour très peu de sièges. À peine avions-nous le temps de nous installer qu’une main brutale nous arrachait du siège et nous poussait sauvagement dans la colonne. Les malheureuses qui s’oubliaient, minées par la dysenterie due à la quotidienne soupe aux feuilles de betteraves, se voyaient plonger le nez dans leurs déjections ainsi que je l’ai vu faire dans mon enfance aux jeunes chats pour les habituer à être propres…
— Nous étions trois vosgiennes dans la même salle. Un jour, Paulette, les traits convulsés, me demande de supplier l’Aufseherin de lui permettre l’accès aux toilettes. Bredouillant quelques mots d’allemand, je lui présente donc la requête de ma compagne. Une bordée d’injures accompagnée de coups de fouet, telle est la réponse de l’Aufseherin. Paulette s’évanouit dans mes bras. Pauvre Paulette ! Elle n’avait vraiment pas de chance. Je me souviens que, durant les douze heures de travail d’une autre nuit, elle dut, pour je ne sais quelle faute commise, retirer avec les mains tous les excréments des w.c.
— Nous xxxvii avions faim parce que les douze heures de présence obligatoire à l’usine, même lorsque les machines ne fonctionnaient pas, n’étaient interrompues que par une distribution de soupe très claire à des heures variables de la journée. Le matin, nous n’avions rien. Au fur et à mesure que la fin de la guerre approchait, les rations diminuaient. La faim nous obsédait, nous faisait parler à chaque instant de recettes de cuisine. J’ai vu des femmes faire les poubelles, j’en ai vu au risque des pires représailles fabriquer des carnets pour inscrire les recettes les plus inimaginables et les plus compliquées.
— Au kommando des pommes de terre, les prisonnières, à tour de rôle confectionnaient un menu dont ensuite elles devaient expliquer chaque plat. J’ai su depuis que la même idée fixe hantait les hommes. Seulement il est beaucoup moins pénible de mourir de faim que de mourir de soif. Le premier stade de la faim passé, on s’anémie, on ne se rend plus compte, on s’éteint. Pour la soif, il n’en est pas de même.
— Car hélas ! nous avons eu soif. L’air était saturé de sel et desséchait les poumons. Nous n’avions rien à boire, que de temps à autre, avec parcimonie, l’eau noire et infecte appelée café dont les Aufseherin avaient largement prélevé leur part. Quand nous le pouvions, nous buvions l’eau des w.c. des S.S. La soif est de beaucoup la souffrance la plus horrible. Elle rendait folle, déformait la bouche, faisait gonfler la
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