La 25ème Heure
avait coutume de faire sa barbe et le porta au géant. Il se promenait à travers la pièce, le col défait. Il prit le miroir de ses mains, chercha une place où l’accrocher, et n’en trouva pas. Il était haut de taille, et en posant le miroir sur la table, il aurait dû se pencher pour se raser. Sans dire un mot, il mit le miroir entre les mains d’Hilda et commença à se savonner le visage. – Plus haut ! ordonna-t-il.
Son visage était tanné par le soleil et le vent. Ses joues liaient couvertes d’une barbe rousse. Hilda tenait le miroir à la hauteur de la bouche. Elle le remonta encore jusqu’à la hauteur du front. Lorsque le géant s’approchait du miroir, elle sentait sa respiration. Ses mains tremblaient. Mais elle crispait ses doigts sur le miroir et s’efforçait de le tenir tout droit.
– Un peu plus haut ! répéta-t-il d’une voix dure.
Hilda releva le miroir plus haut que son front. Elle avait des fourmis dans les bras. Elle aurait voulu dire quelque chose mais le bruit régulier du rasoir qui coupait le poil roux de la barbe couverte de savon la forçait à se taire. Hilda ferma les yeux et écouta le bruit de la lame. Ses narines dilatées humaient l’odeur du savon. Ce n’était pas seulement un parfum de savon mais un parfum ! D’homme, de guerre et de chemin sans fin. C’était l’odeur du manteau de cuir. Le géant n’avait pas observé qu’elle chancelait. Il se rasait avec soin pour ne pas se couper.
Après qu’il eut fini, il se savonna les mains dans la cuvette blanche.
– Relève les manches de la chemise, dit-il.
Hilda roula les manches de la chemise. Elle avait peur de toucher la peau du géant. Sa main frôla la sienne et elle frissonna. L’odeur de forêt et de vent que le géant avait apportée avec lui avait rempli toute la maison. Hilda sentait ce parfum s’imprégner dans les meubles, dans les tapis, dans les murs et elle savait qu’il n’en sortirait jamais. Ce parfum avait pénétré ses robes, sa peau, ses cheveux et sa chemise et il n’en sortirait jamais, dût-elle passer le restant de ses jours à se laver.
– Maintenant je veux rester seul.
Lorsque Hilda se retourna pour fermer la porte, elle le vit nu jusqu’à la ceinture. Il enlevait sa chemise. La tête était cachée. Elle ne voyait que sa poitrine. Hilda avait vu, comme une infirmière, des milliers d’hommes nus. Mais jamais encore elle n’avait vu une poitrine pareille.
Hilda alla à la cuisine et regarda l’auto par la fenêtre.
L’enfant dormait. Hilda se demandait si le géant allait repartir tout de suite ou s’il allait se reposer d’abord. Elle aurait voulu lui préparer à dîner. Mais maintenant elle était attentive, et se tenait prête à répondre au moindre appel.
– Les Russes sont à trois kilomètres ! dit une voisine qui passait sous sa fenêtre. Tu restes encore ici ? – Je reste, répondit Hilda. Puis elle se demanda pourquoi le géant ne l’appelait pas. Elle n’avait plus la patience d’attendre. Elle frappa à la porte. Puis elle entra.
Le géant avait mis son uniforme de parade. Sa poitrine était couverte de décorations. Hilda demeura sur le seuil, émerveillée. Le géant lui sourit. Il souriait pour la première fois. Dans la chambre, à la place de l’odeur du vent, de guerre et de cuir, régnait maintenant un parfum de fleurs. – Je veux savoir si tu es une vraie Allemande, dit le géant. Je veux te demander un service que seule une femme allemande peut me rendre. – Je le suis ! répondit-elle. Et non seulement je suis une vraie Allemande mais mon mari est envoyé par le Grand…
Hilda aurait voulu raconter au géant le secret du départ de son mari. Mais elle s’était interrompue brusquement. Sur la table, se trouvaient les photos encadrées de deux belles femmes. Hilda les regarda et n’eut pas le courage de raconter le secret qu’elle n’avait encore jamais dit à personne, mais qu’elle aurait dévoilé avec plaisir au géant. Mais, maintenant qu’elle avait les photos sous les yeux, elle regrettait d’avoir eu l’intention de raconter ce qu’elle savait.
– Voici ma femme et ma fille, dit le géant. Toutes les deux sont mortes. Je les ai beaucoup aimées. Mais elles ont trompé mon amour. Et ma femme et ma fille m’ont trompé. Ma femme est enterrée. Ma fille est quelque part, je ne sais où. Elle a épousé un vaurien. Depuis lors, c’est comme si elle était morte pour moi.
Hilda regarda les photos
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