La 25ème Heure
des deux femmes. " Moi je ne l’aurais jamais trompé s’il m’avait aimée ! " se dit-elle.
À côté des deux photos de femmes se trouvait, encadrée de cuir, celle du Führer.
– Et maintenant le Führer est mort lui aussi ! dit-il. L’Allemagne n’existe plus. Moi je n’ai vécu que pour eux. Lorsque j’étais jeune, j’aimais aussi les chevaux. Mais c’était là un amour de jeunesse. Tout ce pour quoi j’ai vécu a disparu. Ils sont tous morts : ma femme, ma fille, mon Führer et ma Patrie. Maintenant c’est mon tour. Les Russes seront là dans une demi-heure. Avant leur arrivée, je voudrais accomplir le dernier devoir de ma vie.
Hilda avait les larmes aux yeux. Elle avait cru que le géant dormirait dans sa chambre à coucher. Elle avait cru qu’il aurait faim et qu’elle lui donnerait à manger. Puis elle l’avait vu revêtir son grand uniforme de parade.
– Je ferai tout ce que vous me demanderez, dit-elle. Voulez-vous partir quelque part ?
Elle regardait son uniforme.
– Je n’irai plus nulle part, répondit-il. C’EST le dernier voyage de ma vie d’ici-bas.
Le géant s’était mis à rire :
– Tu croyais que j’allais partir parce que je me suis rasé, lavé et que j’ai mis mon plus bel uniforme ?
Il lui tapait sur l’épaule. Elle était humiliée. À son côté, Hilda se sentait petite, tout aussi petite qu’au moment où elle avait appris que Iohann avait été envoyé en mission spéciale.
– Fais attention à ce que je vais te demander, dit le géant. D’ailleurs, c’est très simple. Mais seule une femme allemande peut le faire ! Ma femme n’en aurait pas été capable. Mais toi, tu pourras. Elle était trop weib. Trop faible. Je ne le lui aurais même pas demandé. Avec toi, c’est différent.
Hilda était fière que le géant lui demande une chose qu’il n’aurait pas demandée à sa propre femme, – Après ma mort, dit le géant, tu traîneras mon corps dans la cour et tu le brûleras. Tu me trouveras mort ici, sur cette toile de tente.
Le géant avait mis par terre une toile de tente militaire. Elle était presque neuve et couvrait tout le plancher. – Tu n’as qu’à prendre les deux bouts de la toile et me traîner dans la cour, dit-il.
Le géant sortit de sous la table deux bidons militaires. – Voilà de l’essence. C’est de l’essence pour avion. Après m’avoir traîné dans la cour, tu me couvriras de cette toile de tente et tu verseras l’essence dessus. Puis tu allumeras avec le briquet.
Le géant souriait toujours. Il sortit de sa poche un briquet en or et le tendit à Hilda.
– Voilà le briquet pour allumer, dit-il. Si le premier feu s’éteint tu n’as qu’à verser l’essence du second bidon et allumer. Et cette fois-ci, je crois qu’il ne restera plus rien. Les Russes ne trouveront que mes cendres. Un soldat digne de ce nom ne doit même pas laisser son corps entre les mains de l’ennemi. C’est ainsi qu’ont procédé tous les soldats allemands au cours de l’histoire. Lorsque tout était fini, ils se donnaient la mort. Et ils faisaient détruire leurs corps. L’ennemi ne trouvait que des cendres noircies.
Le géant se frotta les mains. Hilda se taisait. Elle regardait les photos.
– Si tu veux brûler les photos, tu n’as qu’à les jeter dans la toile de tente et y mettre le feu. Elles brûleront en même temps que moi. Si tu veux les garder, tu le peux. Mais je ne vois pas pourquoi tu le ferais. Moi je ne suis pas d’ici. Je suis de Roumanie.
Hilda demeurait immobile. Elle s’imaginait déjà le géant étendu sur la toile de tente. Elle n’arrivait pas à croire que cela puisse être possible. Elle avait l’impression que le géant n’était pas fait pour mourir, qu’il était éternel.
– Aurais-tu peur ? Une Allemande n’a jamais peur. Surtout lorsqu’elle agit pour la Patrie, car je crois que tu es convaincue que tu sers la Patrie en remplissant les dernières volontés d’un soldat.
– Je le sais, dit Hilda. Et je n’ai pas peur. Mais je ne peux pas croire que tout cela soit vrai. Je ne crois pas que les Russes ar rivent jamais jusqu’ici. Je ne crois pas que l’Allemagne soit vaincue !
– Tout est fini, dit le géant. Tout est irrémédiablement perdu. N’oublie pas de mettre le revolver dans sa gaine de cuir et d’y mettre le feu pour qu’il brûle en même temps que moi. Un soldat doit être enterré ou incinéré avec son arme.
Il y eut un moment de
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