La 25ème Heure
héros.
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– Je ne peux pas croire que la guerre soit perdue, dit Hilda. Tous les gens de la ville se sont enfuis dans les forêts ou à la campagne. Ils disent que les Russes sont à dix kilomètres d’ici. Tous les voisins sont partis. Mais moi, je ne le crois pas. Il s’agit là de propagande ennemie, pour provoquer la panique. Moi, je reste sur place. L’Allemagne ne peut pas perdre la guerre. – Apporte-moi une cuvette d’eau pour me laver, ordonna l’officier auquel elle parlait. Il se débarrassa de son manteau de cuir et le pendit au portemanteau. Sa valise était sur la chaise. Il enleva sa tunique et la mit sur le dossier de la chaise. Il n’avait plus que son pull-over.
Hilda suivait tous ses mouvements. Elle aurait pu rester ainsi à le regarder des heures durant et le voir enlever son manteau de cuir, l’accrocher au portemanteau, déboutonner sa tunique.
– Apporte-moi de l’eau chaude pour que je puisse me raser, dit l’officier. Puis il lui tourna le dos et ouvrit la valise. Hilda sortit de la pièce en laissant la porte ouverte. Par la fenêtre de la cuisine elle pouvait voir l’auto militaire qui était arrêtée devant la porte. L’officier était venu avec cette auto. Hilda regarda la montre de la cuisine. Il y avait à peine un quart d’heure que l’officier était là. " J’ai pourtant l’impression de le connaître depuis toujours ", se dit-elle.
L’officier avait frappé. Elle lui avait ouvert. Il lui avait dit qu’il voulait se laver et changer de vêtements. Tout cela du ton autoritaire avec lequel il devait donner des ordres à ses soldats. Et sans plus attendre la réponse il était entré dans la maison. Il avait passé près de Hilda qui était restée sur le seuil, et l’avait frôlée. Elle avait senti l’odeur du manteau de cuir mêlée à l’odeur de vent, de poussière, et de guerre. Et elle l’avait suivi comme grisée.
Le nouveau venu était grand, un vrai géant. Il avait ouvert la porte de la salle à manger d’un geste familier. On aurait dit qu’il se trouvait chez lui. Il était entré. Puis il avait commencé à se déshabiller. La porte était restée ouverte. Hilda avait attendu sur le seuil qu’il lui donnât un ordre. Mais le géant se déshabillait sans même la regarder.
Lorsqu’il avait enlevé son casque, Hilda avait vu ses cheveux gris d’argent. Puis il avait enlevé son manteau. Hilda avait remarqué ses étoiles de lieutenant.
" C’est un officier de réserve ", s’était-elle dit.
À plusieurs reprises, le géant l’avait regardée. Mais ses regards l’avaient simplement traversée, sans la voir, Hilda avait commencé à parler. Elle lui avait dit tout ce qui lui passait par la tête. Le géant ne répondait rien et ne la regardait même pas.
Après avoir enlevé sa tunique, il lui avait simplement ordonné de lui apporter de l’eau et une cuvette. Hilda ! aurait voulu l’inviter à se laver dans la salle de bains. Leur maison avait une belle salle de bains. Mais puisqu’il avait demandé une cuvette elle n’osait pas le contredire.
En remplissant la cruche d’eau, Hilda regarda encore une fois l’auto qui se trouvait devant la porte. L’auto était pleine de poussière tout comme le manteau de cuir du géant. Lorsqu’elle entra dans la chambre avec la cuvette, le géant était en manches de chemise.
– Donne-moi un miroir, dit-il. Il paraissait absorbé dans ses pensées et fatigué. Hilda pensa qu’il aurait peut-être voulu dormir. Elle lui aurait fait le lit dans la chambre à coucher et l’aurait laissé se reposer.
Ces derniers jours, de nombreuses colonnes de troupes avaient traversé la ville. Des soldats et des officiers avaient frappé à sa porte et lui avaient demandé l’hospitalité pour une nuit, de l’eau pour se débarbouiller ou pour réchauffer des conserves. Et elle avait tout fait pour les servir. Elle avait pensé à son mari. Elle savait que Iohann Moritz se trouvait en mission spéciale et elle voulait se montrer digne de lui et servir, à son tour, la Patrie.
Ces soldats et ces officiers, elle les avait fait dormir dans la salle à manger. Mais le géant, elle l’inviterait à dormir dans la chambre à coucher. C’est elle qui dormirait sur le canapé de la salle à manger. Hilda se dit que le géant ne choisirait peut-être pas le lit de Iohann, mais le sien. Cette pensée la fit frissonner tout entière. Elle prit le miroir devant lequel Iohann
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