La 25ème Heure
même pas entendus.
Un autre avait couché avec une femme dans un lit voisin du sien. Celui-là non plus, elle ne l’avait pas entendu,
Maintenant, les hommes quittaient la chambre. Ils ressemblaient à des ombres.
Eleonora West crut voir qu’ils étaient très grands et noirs. Plus noirs que la nuit.
Quelques femmes partirent aussi avec les hommes. Mais elles revinrent sitôt après sur la pointe des pieds et se couchèrent.
Maintenant tout était calme. Les femmes étaient dans leurs lits, chacune à sa place. Seules deux d’entre elles étaient restées au milieu de la pièce. Elles demeuraient debout dans l’obscurité. Elles portaient de petites chemises courtes. On apercevait dans l’obscurité leurs silhouettes épaisses. Elles ne parlaient pas et se tenaient serrées l’une contre l’autre. Nora les entendait manger. Elles grignotaient du chocolat.
Nora attendait que les deux femmes qui se tenaient au milieu de la pièce aillent se coucher. Elle avait peur qu’elles ne la frappent ou même qu’elles ne la tuent durant son sommeil. Mais les femmes demeuraient tranquillement sur place. Elles continuaient à grignoter leur chocolat et ne disaient rien.
– Qui a crié ? demanda l’une d’elles à voix basse. Ce n’est pas l’étrangère, la rousse, qui est venue ce soir ?
– Je ne sais pas, répondit l’autre. Mais je ne regrette pas qu’elle ait crié. Je venais de finir avec mon type et je n’avais aucune envie de recommencer…
Elles continuèrent à manger leur chocolat et ne se parlèrent plus. Nora suivait leurs mouvements. Elles se séparèrent enfin et se dirigèrent vers deux coins différents de la pièce. Elles se mirent au lit. Les planches grincèrent. Puis le silence se fit.
Mais Nora étouffait. Elle ne pouvait arriver à dormir.
Maintenant il n’y avait plus aucun homme dans la pièce. Les femmes dormaient. Mais l’atmosphère était empestée d’odeur de vin, de sueur, et d’hommes qui font l’amour. Les fenêtres étaient largement ouvertes. Mais l’odeur n’arrivait pas à sortir. Nora West n’y tenait plus.
" Il doit exister un motif d’arrestation, se dit-elle. Autrement ils ne m’auraient pas enfermée ici. " Elle eut envie de tousser. Mais elle mit la main à la bouche et se retint : les femmes auraient pu la battre…
121
Premier matin dans le camp de concentration d’Ohrdruf. En ouvrant les yeux Traian Koruga vit Iohann Moritz.
– Nous avons dormi toute la nuit côte à côte ! dit Traian en serrant la main de Iohann Moritz. Comment es-tu arrivé ici ?
Iohann Moritz raconta son histoire en commençant par la fin. Il parla de l’officier qui l’avait emmené pour parler de son évasion au commandant.
– Et au lieu d’aller chez le commandant de la ville ils m’ont mis en prison ! dit Iohann Moritz. J’y suis resté huit semaines, dans une cellule sans fenêtre, sans un seul rayon de lumière. J’ai attendu tout le temps que le commandant m’appelle. Mais il ne m’a pas appelé. Ils m’ont amené ici. C’est tout.
Iohann Moritz s’arrêta de raconter et se tourna vers Traian :
– Et vous, comment êtes-vous arrivé ici ?
Traian Koruga haussa les épaules.
Les prisonniers qui avaient dormi étendus par terre se réveillaient un à un. Le camp de concentration d’Ohrdruf n’était qu’un champ entouré de barbelés. Quinze mille prisonniers y étaient rassemblés. Rien que le ciel, la terre et les hommes.
Aux quatre coins de la barrière en barbelés, des soldats, mitraillettes au poing, se tenaient près des tanks et surveillaient le camp.
– Vous avez des nouvelles de Fântâna ? demanda Iohann Moritz.
Il regarda Traian et dit :
– Je n’arrive pas à croire que vous soyez ici ! Comment se fait-il que nous nous retrouvions ainsi l’un en face de l’autre ? Toute cette nuit nous avons dormi côte à côte. Moi, je ne peux pas arriver à comprendre…
122
Le commandant du camp d’Ohrdruf était juif. Eleonora West se réjouit.
" Un juif comprendra mieux mes souffrances. Il va m’aider comme il le ferait pour une parente. Il va me faire sortir d’ici ", se dit-elle.
Elle était décidée à tout lui raconter. À l’implorer. À lui demander de la secourir. À lui parler comme à un frère.
Les murs du bureau du commandant étaient garnis de photos prises dans les camps de concentration allemands.
Nora West les regarda. Les photos étaient de la
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