La 25ème Heure
d’avoir de passion. L’amour, cette suprême passion, ne peut exister que dans une Société qui estime que chaque être humain est irremplaçable et unique. La Société à laquelle vous appartenez croit justement que chaque homme est parfaitement remplaçable. Vous ne voyez pas dans l’être humain, et par conséquent dans la femme que vous pu tendez aimer, un exemplaire unique créé par Dieu ou par la nature – en une seule édition. Chez-vous, chaque homme est créé en série. À vos yeux une femme en vaut une autre.
" En ayant cette conception vous ne pouvez pas aimer. Les amants de ma Société savent que, s’ils ne réussissent pas à gagner le cœur de la femme aimée, ils ne pourront la remplacer par aucune autre au monde. Et c’est pourquoi bien souvent, ils se tuent pour cette femme aimée. Leur amour refusé ne peut-être remplacé par aucun autre. Un homme qui m’aimerait vraiment me donnerait l’impression que je suis la seule femme qui puisse le rendre heureux. Moi seule. Il me démontrerait que je suis l’exemplaire unique, qui ne peut avoir son égal sur toute la surface de la terre. Et je serais convaincue de ce fait. Un homme qui ne me donne pas la sensation d’être unique et inégalable, ne m’aime pas. Et une femme qui ne reçoit pas cette confirmation de l’être qu’elle aime, n’est pas aimée. Et si je ne suis pas aimée par un homme, je ne l’épouse pas. Êtes vous capable, Mr. Lewis, de m’offrir cette certitude ? Croyez-vous vraiment que je sois la femme qu’aucune autre ne pourrait remplacer à vos yeux ? Croyez-vous vraiment qu’en cherchant très bien, vous ne pourriez pas me remplacer ? Non, vous êtes certain, si je refuse, de pouvoir trouver une femme qui soit votre épouse. Et si elle refuse aussi, vous en trouverez une troisième. N’est-ce pas vrai ?
– Si, c’est vrai, dit-il. Mais je regretterai que vous me refusiez. Parole d’honneur. Je le regretterai.
– Nous ferions mieux de continuer le travail sacré de notre bureau, Mr. Lewis.
Elle ouvrit le dossier et dit :
– Dans le camp, tout le monde a demandé à s’engager. Tous, et même les enfants, les femmes, les vieillards. Tous demandent d’être reçus comme volontaires. Tous veulent combattre à vos côtés.
Nora West sourit. Elle pensait aux milliers de citoyens étrangers qui se trouvaient en Occident. Tous avaient fui la terreur russe. Tous avaient trouvé refuge auprès des Américains, auprès des Anglais ou des Français. Ils n’avaient même pas réfléchi vers quel endroit ils allaient se diriger. Ils fuyaient simplement les Russes. Ils fuyaient la barbarie. La terreur. La mort. La torture. Ils s’étaient dirigés vers l’endroit où il n’y aurait plus de Russes. Ils avaient couru vers cet endroit les yeux fermés. Ils savaient seulement qu’ils ne devaient pas revenir en arrière. Derrière eux, il y avait la nuit et le sang. Derrière eux il y avait la terreur et le crime. Ils avaient embrassé cette terre où il n’y avait pas de Russes. Ils l’avaient embrassée à genoux et l’avaient appelés : la terre de toutes les promesses et de toutes les espérances. Ils l’avaient embrassée, sans même la regarder. Sans même se demander ce qu’elle pouvait bien être.
C’était une terre sans Russes et cela suffisait. Il leur était indifférent qu’elle soit habitée ou occupée par telle ou telle nation.
Ils ne voulaient plus voir de Russes. Les Américains avaient arrêté les fuyards. Mais ces derniers ne s’en étaient pas fâchés. Ils étaient en terre promise. Ils n’avaient demandé à la vie rien d’autre que d’échapper aux Russes. Et ils leur avaient échappé. Tout ce qui pouvait leur arriver par la suite leur était égal. Et c’est pourquoi ils ne s’étaient pas fâchés que les Américains les arrêtent. Même s’ils les avaient tués, ils n’auraient pas protesté. Et maintenant la guerre venait d’être déclarée. La troisième guerre. Les réfugiés étaient fatigués, affamés, enfermés.
Ils voulaient de la nourriture, du repos, du travail et de la liberté. Ils ne s’étaient pas révoltés de ne pas les avoir. Ils avaient réussi à fuir les Russes et c’était l’essentiel.
Les Américains avaient promis à ceux qui s’engageaient comme volontaires dans les brigades occidentales, de les mettre en liberté. Et tous les hommes avaient demandé à être volontaires. Non pas pour lutter, mais pour ne plus rester
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