La 25ème Heure
enfermés. Pour ne plus crever de faim.
– C’est un enthousiasme colossal ! dit Mr. Lewis. La cause pour laquelle l’Occident lutte contre la barbarie de l’Orient a été adoptée par tout ce monde. Tous les hommes sont conscients que l’heure est venue pour eux de mourir ou de vaincre. Cette guerre fera époque. Cette guerre est unique dans l’Histoire. L’Occident civilisé contre l’Orient barbare. Une guerre vraiment mondiale. La première guerre mondiale de l’Histoire.
Mr. Lewis se frotta les mains.
– C’est un bonheur et un honneur que de participer à cette guerre. La victoire nous appartient déjà. Toute la terre sera civilisée. Il n’y aura plus jamais de guerre. Rien que du progrès, de la prospérité et du confort.
Eleonora West sourit.
– Vous ne paraissez pas enthousiasmée, dit Mr. Lewis. Je vois que vous n’êtes pas passionnée pour la cause de l’Occident. Seriez-vous philo-bolchevik ? Vous êtes la seule à avoir des réserves. La seule à ne pas être enthousiasmée.
– Pas un n’est enthousiasmé, dit Eleonora West. C’est vous qui les voyez enthousiasmés !
– Tous nos volontaires ne sont-ils pas entièrement anti bolcheviks ?
– Si, répondit Eleonora West. Anti bolcheviks, mais c’est tout ! Cela veut dire qu’ils désirent vivre en liberté, ne plus sentir l’atmosphère de terreur, né plus être tués, affamés, déportés, torturés. Leur attitude n’est pas politique. C’est l’attitude prise par l’homme devant le crime, la terreur et l’esclavage.
– Que désirez-vous de plus ? demanda Mr. Lewis.
Cela veut dire qu’ils sont entièrement engagés dans la cause de l’Occident, car nous combattons pour leur offrir la liberté, la sécurité, la protection, la démocratie ! – Ne vous laissez pas griser par des mots, Mr. Lewis, dit Eleonora West. Cette guerre que vous appelez la troisième guerre mondiale, n’est pas une guerre de l’Occident contre l’Orient. Et à proprement parler ce n’est même pas une guerre, bien que la ligne de bataille aille d’un pôle à l’autre et recouvre toute la terre. Cette guerre n’est qu’une révolution intérieure dans le cadre de la Société technique occidentale ; une simple révolution intérieure, exclusivement occidentale. L – Mais nous luttons contre l’Orient, contre toute l’Europe de l’Est ! dit Mr. Lewis. – C’est faux ! dit Eleonora West. Vous, l’Occident, vous luttez contre une branche de votre Civilisation. – Nous luttons contre la Russie.
La Russie, après la révolution communiste, est devenue la branche la plus avancée de la Civilisation technique occidentale. La Russie a pris toutes ses théories de l’Occident et elle les a mises simplement en pratique, elle a réduit l’homme à zéro, comme elle l’avait appris de l’Occident. Elle a transformé toute la Société en une immense machine, comme elle l’avait appris de l’Occident. La Russie a imité l’Occident comme seul un barbare et un sauvage pouvait le faire. Les seules choses vraiment russes qu’elle ait apportées à la Société communiste – c’est le fanatisme, c’est la barbarie. Un point, c’est tout. En U. R. S. S. la soif de sang et le fanatisme mis à part, tout vient de l’Occident. Et vous, vous combattez cet aspect de la Civilisation occidentale : la branche communiste de la Société technique occidentale. Et c’est pourquoi cette troisième guerre mondiale n’est, et ne peut-être qu’une révolution intérieure qui a éclaté et suit son cours à l’intérieur même de la Société technique occidentale. Les branches atlantique et européenne de la Société occidentale luttent contre le groupe communiste occidental. C’est une lutte intérieure qui se poursuit entre deux catégories, entre deux classes de la même société, c’est, si vous le voulez, une révolution de classe exactement comme la révolution bourgeoise de 1848. L’Orient ne participe pas à cette révolution intérieure occidentale. Personne en dehors de la Société occidentale ne participe à cette révolution. Et du moment que cette révolution est typiquement occidentale, Mr. Lewis, elle n’est pas faite en faveur des hommes. La Société occidentale n’a pas d’hommes.
– Je ne comprends pas.
– C’est très simple, dit Nora West. Les intérêts de la Société occidentale ne sont pas ceux des hommes. Bien au contraire. Dans la Société technique occidentale les hommes
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