La 25ème Heure
leur demande ils sont enthousiasmés. Ils luttent à vie et à mort pour notre cause qui est aussi la leur. Ce sont nos meilleurs sol dats. Ouvrez la porte et regardez-les attendre devant notre bureau.
" Il y en a des centaines. Des milliers. Tous veulent s’engager comme volontaires. Tous veulent combattre pour la grande cause de la Civilisation. Tous veulent donner leur vie pour la grande victoire de demain. Cette victoire apportera aux hommes le bonheur, la civilisation, la paix, le pain, la liberté, la démocratie. Vous ne me croyez pas ?
– Non, dit Eleonora West. Les hommes ne croient pas en cette guerre. Ils ne pensent peut-être pas exactement comme moi. Ils ont trop souffert pour penser encore. Ils ne pensent à rien. Mais ils sentent comme moi. Ils souffrent comme moi. Ils sont désespérés comme moi. Exactement comme moi. Toute l’Europe sent comme moi.
– Laissons parler les faits, Mrs. West ! Je vous prouverai quel enthousiasme anime ces hommes qui s’engagent comme volontaires. Je prendrai un seul exemple et je le choisirai au hasard.
Le lieutenant Lewis se leva. Il ouvrit largement la porte.
– Regardez, dit-il. Aujourd’hui il y a de nouveau plus de cinq cents hommes qui attendent.
Il montra la longue file de gens devant la porte et dit :
– Prenons le premier.
Mr. Lewis introduisit dans le bureau le premier homme qui attendait devant la porte. L’homme n’était pas seul. Il était avec sa femme et ses trois enfants.
C’était un homme aux cheveux noirs et aux tempes grisonnantes. Les joues un peu tirées. De grands yeux noirs, tristes et beaux.
Nora regarda ses yeux. " Il y a une mélancolie qui tient à la grandeur de l’esprit ", se dit-elle.
L’homme qui se trouvait devant elle était un ouvrier. Mais l’esprit rayonnait dans son regard. Et Esprit signifie grandeur. Sa tristesse n’était pas une simple tristesse de la chair, mais surtout une tristesse de l’esprit.
La femme qui se tenait à son côté portait une robe bleue, trop large. Ses cheveux blonds étaient parsemés de mèches blanches. Mais elle était très belle. Ce n’était pas seulement son corps qui était beau. Sa féminité était éclatante et rayonnait autour d’elle par tous les pores de la peau.
Nora West aurait voulu lui sourire comme à une sœur. Mais la femme tenait les yeux baissés. Elle était triste et effrayée.
L’un des garçons avait des yeux noirs. Les yeux de son père. Mais ses regards n’étaient pas tristes. Ses yeux ardents et audacieux examinaient Nora avec curiosité.
L’autre garçon tenait les yeux baissés. Il était blond. Il paraissait absent. Il pensait à autre chose.
Le plus petit devait avoir quatre ans. Il avait les cheveux bouclés et des yeux bleus. Nora ne se rendait pas compte si c’était une fille ou un garçon. Mais il était beau comme un ange.
– Voilà toute une famille qui veut s’engager, dit le lieutenant Lewis. Demandez-leur s’ils pensent comme vous. Vous allez voir qu’ils ne viennent pas chez nous par désespoir. Ils viennent à nos côtés parce qu’ils sont assoiffés de liberté et de justice. Ils demandent à s’engager parce qu’ils veulent lutter pour la Paix et la Civilisation. Ils sont parfaitement conscients. Demandez-leur tout ce que vous voulez et vous verrez !
– Ce n’est pas nécessaire, dit Nora. Je ne cherche pas à savoir ce que ces gens ont dans leur cœur. Ma douleur me suffit. Ne m’obligez pas à réveiller le désespoir des autres. Procédez vous-même à votre interrogatoire comme vous le faites d’habitude. Moi je n’y tiens pas.
– Je vous prie de demander tout ce que vous voulez. Je suis sûr que vous changerez vous-même d’opinion.
– Soit, dit Eleonora West.
La dernière phrase de Lewis équivalait à un ordre. Elle leva les yeux vers l’homme qui se tenait devant la porte, son chapeau à la main. Elle rencontra son regard.
– Votre nom ?
– Iohann Moritz, répondit l’homme. Je veux m’engager comme volontaire avec toute ma famille. Nous vous prions de nous recevoir tous. J’ai besoin d’une dispense d’âge. J’ai dépassé la limite d’âge marquée sur les affiches. Mais je me sens encore jeune. Les garçons sont trop jeunes. Ils n’ont pas encore l’âge marqué sur les affiches. Mais ce sont des garçons honnêtes et travailleurs. Nous sommes anti bolcheviks comme il est écrit sur les affiches. Nous croyons à la victoire de la Civilisation comme c’est
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