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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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gendarmes ne pourraient jamais le trouver et le réquisitionner. Mais il se raidit et ne bougea pas du seuil de la gendarmerie. Il avait une femme, une maison et des enfants. Il ne pouvait pas s’enfuir. Moritz pénétra dans la cour de la gendarmerie. Le chef de poste se faisait la barbe dans le bureau. Moritz attendait qu’il eût fini pour lui demander s’il n’y avait pas erreur en ce qui concernait son ordre. Dans la cour il y avait une odeur de lait brûlé. Quelqu’un posa la main sur l’épaule de Moritz. Il tourna la tête. C’était un soldat. Ce n’était pas celui qui lui avait apporté l’ordre, mais un autre. A la droite du soldat se trouvait Marcou Goldenberg, le fils du juif de Fântâna. Moritz ne les avait pas vus s’approcher de lui. Mais ils étaient là comme surgis de terre, le regard haineux. Le soldat attrapa Moritz par le col de sa chemise et le mit debout comme s’il soulevait un sac. Moritz se soumit. Mais sitôt après il observa que Marcou Goldenberg avait les poignets ligotés.
    – L’un à côté de l’autre ! ordonna le soldat.
    " Si Marcou a les mains liées, ce n’est pas une blague ", pensa Moritz. Il rapprocha son coude de celui du juif. Il avait peur. Chaque fois qu’il voyait des hommes ligotés, il était effrayé. Derrière son dos, la sentinelle chargea l’arme. Sans le voir, Moritz le sentait. Lui aussi avait été soldat. Le gendarme mit la baïonnette au canon. Iohann Moritz comprit ce qui se passait. Et il ferma les yeux. En sortant de la cour, il jeta encore un regard vers la fenêtre du bureau. Le chef du Poste avait appuyé le miroir contre la vitre et continuait à se raser. Les paysans s’arrêtaient dans la rue et les regardaient passer. Les femmes sortaient sur le seuil pour les voir.
    Devant la maison de Nicolae Porfirie, un groupe de femmes qui revenaient de la fontaine déposèrent les seaux au beau milieu de la route et se signèrent en les voyant passer. Moritz ferma les yeux. Quelque chose venait de se briser dans sa poitrine. Il savait bien que les femmes se signaient lorsqu’elles voyaient des hommes les mains liées, menés baïonnette dans les reins. Il entendait derrière lui les pas du soldat. Tout s’était tu pour lui. En dehors du pas rythmé, tout s’était transformé en silence. Moritz gardait la même cadence que Marcou Goldenberg. Ses jambes ne lui appartenaient plus. Elles marchaient toutes seules. Et la chair de son corps n’était plus sa chair. Elle lui était étrangère. Le corps aussi. Et ses pensées. Toutes ses pensées. Tout cela appartenait maintenant à un autre. Il n’avait plus rien à lui.
     
     
     
26
     
     
     
    Le chef du poste finit de se raser et sortit dans la cour en sifflotant. C’était une belle matinée. Un soldat lui versa de l’eau et il se lava. Il l’avait vu se raser avec soin et recommencer par deux fois.
    – C’est une nouvelle, chef ? demanda le soldat. Et il rit. Le soldat devinait bien que l’adjudant allait voir une femme. Le chef cligna de l’œil. Mais il ne répondit pas. Après s’être essuyé il mit son uniforme neuf et s’assit au bureau. Il prit du dossier, le double du rapport qu’il venait d’envoyer le matin à la caserne en même temps que les deux prisonniers, et lut :
    " Nous avons l’honneur de vous envoyer sous escorte les individus Marcou Goldenberg, docteur en droit, trente ans, et Moritz Ion, agriculteur, vingt-cinq ans, qui tombent sous le coup de la loi, conformément à vos ordres antérieurs concernant la réquisition et l’envoi en camp de travail de tous les juifs et individus suspects de notre district. – Signé : Adjudant chef Nicôlae Do- bresco , chef du poste de gendarmes de Fântâna. "
    Le gendarme remit le rapport dans le dossier. Il était satisfait. Il lissa ses moustaches et jeta un regard dans son miroir de poche. Puis il se redressa, mit son fusil à l’épaule et se dirigea vers la maison de Iohann Moritz. Maintenant Suzanna était seule. Il attendait ce moment depuis deux ans.
    Le gendarme se mit à siffler.
     
     
     
27
     
     
     
    Une heure après, le chef du poste était de retour. En partant il avait annoncé qu’il serait absent toute la journée et maintenant il était de nouveau là, dans son bureau. Il était fort en colère. Il ne savait sur quoi mettre la main pour se calmer. Il aperçut le dossier de correspondance, l’ouvrit et relut le rapport envoyé à la caserne, le matin même, en même temps que les

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