La 25ème Heure
quand même envoyer les papiers. Et maintenant tu peux sortir. Toi, Strul, reste ici et aide-moi à rédiger le rapport !
Moritz sortit du bureau en reboutonnant pensivement son pantalon.
33
Après l’arrestation de Iohann Moritz, le prêtre Koruga qui était revenu de la ville alla à la gendarmerie. Il devait être neuf heures du matin. Le gendarme chef venait à peine de rentrer du village. Il était furieux.
– Moi, j’ai reçu un ordre de réquisition et je n’ai fait que l’exécuter ! dit le gendarme. Je ne peux pas vous donner d’autres renseignements. Je n’en sais pas plus que vous. Renseignez-vous à la gendarmerie de la ville.
– Moritz est à la gendarmerie de la ville ? demanda le prêtre.
– Ça non plus, je ne le sais pas, dit le gendarme. Et même si je le savais je ne pourrais pas vous le dire. Ce sont des secrets militaires. Les hommes sont réquisitionnés pour travailler aux fortifications et il est interdit de divulguer l’endroit où ils se trouvent.
Le prêtre se leva et le remercia pour les renseignements reçus. Il se rendit à la gendarmerie, en ville, l’après-midi même. Mais Iohann Moritz n’était pas là. Personne n’en avait entendu parler.
– Était-il juif ? demanda un jeune officier.
– Il est chrétien orthodoxe. Il appartient à ma paroisse, répliqua le prêtre.
– Alors il n’a pas été envoyé chez nous ! dit l’officier. Allez voir le gendarme du village, et demandez-lui de nous communiquer le numéro sous lequel il a été expédié. Hier et aujourd’hui nous n’avons reçu que des convois de juifs. Mais puisque vous dites que l’homme auquel vous vous intéressez n’est pas juif, alors il ne doit pas être du nombre.
– Il n’est pas juif, affirma le prêtre.
Le lendemain il retourna à la gendarmerie avec le numéro du rapport. L’officier de la veille chercha dans un registre et lui dit :
– Nous regrettons de ne pouvoir vous fournir aucune indication. C’est un dossier secret. Il vous faut l’autorisation du ministère de la Guerre.
– Je veux seulement savoir si Moritz Ion est arrêté et l’endroit où il se trouve, dit le prêtre. Cela ne peut être secret.
– Il est arrêté, répondit l’officier. Mais nous ne pouvons vous dire l’endroit où il se trouve. Nous ne le savons d’ailleurs pas. Il a été remis à l’État-Major et l’État-Major de l’armée ne nous indique pas l’endroit où il envoie les hommes qu’il reçoit de chez nous, ni ce qu’il fait d’eux.
Sa voix était dure. Après avoir trouvé le nom de Johann Moritz dans le registre, il avait regardé le prêtre avec mépris.
Le prêtre Alexandru Koruga partit. L’officier dit à haute voix derrière son dos :
– C’est un pope, mais il ment comme un arracheur de dents. Il déclare que l’individu en question est orthodoxe et je le trouve porté dans le registre comme juif. Si jamais il remet les pieds ici, mettez-le dehors !
34
Le prêtre Koruga écrivit à Traian pour le mettre au courant de l’arrestation de Iohann Moritz. Il le pria d’aller intercéder en sa faveur au ministère de la Guerre et à l’État-Major. Il reçut une réponse de Traian qui était intervenu partout où cela lui avait été possible et avait reçu la promesse que Moritz serait relâché.
Après réception de la lettre, deux, puis trois, puis quatre semaines passèrent. Puis deux mois. L’été tirait à sa fin. Et ce fut le tour de l’automne. Iohann Moritz n’était pas encore de retour. Le prêtre Alexandru Koruga alla voir le préfet de la commune. En allant vers la ville il rencontra sur son chemin le vieux Goldenberg, le père de Marcou, et l’invita à prendre place dans la voiture. Le juif avait maigri.
– Depuis le jour où il a été arrêté, je n’ai plus de nouvelles de Marcou ! dit le commerçant. Puis il soupira : J’ai dépensé une for tune pour qu’il aille à l’école et aux Universités de Bucarest et de Paris. Et maintenant qu’il a son doctorat et qu’il est rentré à la maison, ils l’ont arrêté et l’ont envoyé creuser des tranchées, comme si c’était pour creuser des tranchées qu’il avait passé son doctorat en droit !
Le prêtre sortit un pain chaud de sa serviette, le coupa en deux et en tendit la moitié à Goldenberg.
Ils mangeaient tous les deux en silence. Le chemin montait. Le cheval allait au pas. En arrivant au sommet de la
Weitere Kostenlose Bücher