La 25ème Heure
par-dessus la porte et tenta de la calmer.
– C’est une simple formalité, lui dit-il. Ce n’est pas un vrai divorce. Si tu ne signes pas, dans quelques jours je dois te mettre dehors. Et où iras-tu, au seuil de l’hiver, avec les enfants sur les bras ?
Suzanna ne voulait rien entendre.
– Iani est mon mari. Plutôt mourir que m’en séparer.
Le gendarme resta devant la porte près d’une heure.
Suzanna se sentait lasse. Elle avait trop pleuré. Elle entra dans la maison. Puis elle revint devant la porte. Elle lui lança encore des pierres. Elle prit une hache et le menaça. Puis elle se dit qu’il valait mieux signer un papier qu’être mise à la porte de sa maison. À son retour, Moritz allait comprendre et lui pardonner d’avoir signé. Il verrait bien, qu’elle lui était restée fidèle, qu’elle avait travaillé, gardé la maison, soigné les enfants. Qu’elle était restée sa femme à lui, seulement à lui. Et elle signa. Le gendarme mit la demande de divorce de Suzanna dans la poche intérieure de sa tunique et partit. Maintenant il pouvait dormir tranquille : il n’y aurait plus d’enquête !
Si le capitaine était venu enquêter, il aurait pu être mis aux arrêts, deux ou trois jours. Mais il n’y avait plus de danger. Il sourit et se mit à siffler.
39
Les prisonniers du camp de Moritz auraient tous pu s’évader. Il n’y avait que cinq soldats pour les garder. Mais ils savaient bien qu’un jour ou l’autre ils seraient pris, et pas un n’essayait de s’enfuir.
Marcou Goldenberg s’était évadé. Mais après s’être enfui, il avait rencontré l’adjudant en route. Et maintenant il se trouvait de nouveau au camp.
L’adjudant rassembla les prisonniers avant l’heure du travail et leur dit :
– Qu’est-ce que je dois faire ? Mettre Goldenberg aux fers et l’envoyer à la Cour Martiale, ou le laisser ici ? Vous chargez-vous de le garder pour qu’il ne fasse plus pareille bêtise ?
Les prisonniers prirent la responsabilité de garder Marcou Goldenberg. Jusqu’alors il n’avait jamais travaillé au canal. Il était tout le temps malade et avait été employé comme fourrier au bureau. Mais maintenant le vieux Lengyel lui donna une bêche et lui indiqua la portion de canal qu’il avait à creuser.
Marcou Goldenberg refusa. Il préférait avoir les mains coupées plutôt que de creuser un seul arpent de terre.
– Ce travail est contre mes convictions politiques ! dit-il.
Les prisonniers firent cercle autour de lui. Personne ne creusait le canal par conviction politique. Et c’est pourquoi tous étaient très curieux d’entendre ce qu’il allait dire.
– Le canal est creusé pour arrêter l’avance de l’armée rouge, dit Marcou Goldenberg. Moi, je suis communiste. Je ne veux en aucun cas mettre d’obstacle sur le chemin de mes camarades !
Les prisonniers apprécièrent l’attitude courageuse de Marcou. Ils étaient tous d’accord. Mais lorsqu’ils apprirent que le morceau de terrain de Goldenberg devrait être creusé par eux dans le cas où ce dernier ne le ferait pas, leur enthousiasme tomba bien vite. Le vieux Lengyel donna le signal de départ pour le travail et promit d’arranger la chose.
Dès que les autres commencèrent à travailler, Lengyel vint se mettre à côté de Marcou qui restait sur le bord du canal, mains dans les poches.
– Nous, les juifs, nous avons une qualité que nul autre peuple de l’Occident ne peut égaler. Nous savons, faire des transactions. Notre peuple est assez sage pour apprécier le compromis et mépriser les attitudes tranchées. C’est une vertu que nous tenons de l’Orient. : Tu me comprends. Celui qui sait ménager la chèvre et le chou est un sage. Tu as méprisé cette sagesse et tu as pris posi tion, oubliant que cette attitude est caractéristique des peuples barbares, des peuples de soldats. Les nations raffinées et cultivées peuvent se permettre le luxe d’avoir plusieurs attitudes à la fois et de choisir entre elles toutes celle qui s’adapte le mieux à la situation présente. Si tu ne veux pas tenir compte de cette sagesse, cela te regarde. Nous avons compris que tu ne voulais pas creuser le canal.
– À aucun prix ! dit Marcou.
– Mais ta portion de canal doit être creusée chaque jour par quelqu’un, pendant toute la durée de ton séjour ici. Jusqu’à présent tu as été à l’hôpital. À partir d’aujourd’hui…
– Je
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