La 25ème Heure
ici, pour montrer à Suzanna, sa femme, et à ses garçons, le canal auquel il avait travaillé. Le canal alors serait rempli d’eau. Mais lui, Moritz, avait bien marqué dans sa mémoire l’endroit où il avait travaillé pour se le rappeler. Les enfants en seraient émerveillés. Ils ne pourraient jamais croire qu’à cet endroit même, il y avait eu autrefois un champ où paissait le bétail et ils iraient raconter aux autres enfants de l’école ce qu’avait fait leur père. Ils seront fiers d’avoir un tel père. Les autres enfants n’auront pas de père qui ait accompli de tels exploits. Moritz était tout fier. Au début il était tourmenté par l’idée de sa maison. Peut-être que dans la cour les briques avaient trop séché. Peut-être que Suzanna n’avait pas pu transporter le bois de la forêt. Peut-être qu’elle n’avait pas pu récolter tout le maïs. Il n’en dormait pas la nuit. Mais cela se passait tout au début. Il avait fini par y penser de moins en moins. Suzanna avait sûrement dû tout arranger. Et ce qu’elle n’avait pas pu faire avec ses faibles forces de femme, il le ferait lui-même à son retour. À partir du jour où l’adjudant l’avait examiné, lui avait fait enlever son pantalon, et s’était rendu compte qu’il n’était pas juif, Iohann Moritz s’attendait sans cesse à être relâché. Il pensait que l’ordre était arrivé depuis longtemps déjà, mais qu’on ne pouvait pas le relâcher, tant que le canal n’était pas terminé. Mais à présent le roi et ses généraux allaient venir voir si ce canal auquel il avait travaillé, leur plaisait. Ensuite on le laisserait retourner chez lui. Moritz n’en voulait pas à l’État de l’avoir envoyé ici. Tout au début, il était furieux contre le soldat qui l’avait escorté de Fântâna à la ville. Puis contre le chef du poste. Il croyait que c’était lui qui l’avait réquisitionné. Et il le croyait encore aujourd’hui. Mais sa fureur était passée. Lorsqu’il sera de retour dans son village si jamais il rencontre le gendarme Dobresco dans la rue, il le saluera en enlevant son chapeau comme par le passé. Si on l’avait relâché six ou sept mois auparavant, il lui aurait tourné le dos. Peut-être même l’eût-il injurié, car le gendarme s’était moqué de lui avec cet ordre de réquisition. Mais maintenant sa colère était passée. Tout passe avec le temps. Il savait que d’ici peu il serait de retour chez lui. Il languissait de son village et de sa femme. Les enfants avaient dû pousser. Petru allait venir au-devant de lui, à la porte de la maison. Moritz se laissait bercer par ses rêves. Il se voyait déjà entrant dans la maison, prenant Petru dans ses bras, serrant Nicolae contre lui. C’était comme s’il le tenait déjà. Puis il raconterait à Suzanna comment il avait travaillé et où il avait été. Mais il ne lui dirait rien des coups qu’il avait reçus. Et il lui cacherait aussi qu’il avait crevé de faim. À quoi bon lui faire de la peine ? Il lui dira seulement qu’il a appris le yiddish et que personne dans ce camp, pas même les juifs, n’avait cru qu’il était Roumain. Ils ne l’avaient cru qu’au moment où l’adjudant lui avait ordonné d’enlever son pantalon pour regarder si… Suzanna allait bien en rire surtout quand elle saurait que l’adjudant avait donné l’ordre à Strul, le fourrier, de l’examiner aussi. Il dira à Suzanna que l’adjudant et le fourrier Strul étaient restés bouche bée et lui avaient dit : l’adjudant avait donné l’ordre à Strul, le fourrier, de l’examiner aussi. Il dira à Suzanna que l’adjudant et le fourrier Strul étaient restés bouche bée et lui avaient dit :
– Nous devons te faire sortir du camp, car tu n’es pas juif et le roi a ordonné que seuls les juifs creusent ce canal.
Suzanna allait être heureuse que toute cette histoire ait pris fin, et qu’il soit de nouveau à la maison. Elle allait venir auprès de lui, se serrer avec amour contre lui et lui dire :
– Tu es mon mari et tu m’es plus cher que le soleil qui brille dans le ciel !
Voilà à quoi rêvait Moritz en attendant la visite du général. Mais le jour même on annonça que le général ne viendrait que le lendemain. Les prisonniers qui l’avaient attendu, bêche à la main, alignés sur trois rangs, se dispersèrent.
Moritz fut appelé au bureau.
– L’adjudant veut te parler, dit Strul.
Moritz sentit son cœur
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