La 25ème Heure
leurs poux avec eux. Et chacun en possédait quelques douzaines. Mais dans le nouveau camp les outils du canal ne leur étaient plus nécessaires. Ils devaient maintenant abattre des arbres pour les fortifications. Iohann Moritz n’avait jamais vu de fortifications. Il ne savait même pas comment elles étaient faites. Cependant ils abattaient les arbres par forêts entières, et les transportaient à la frontière.
Il y avait des milliers et des milliers d’hommes qui ne faisaient qu’abattre des arbres et les transporter dans la vallée.
Iohann Moritz essayait de voir les fortifications mais il n’y réussissait pas. A son avis, de tout ce bois coupé, on devait élever un mur géant entre les Hongrois et les Roumains. Peut-être bien, après tout, que c’était là l’idée de l’État-Major ; lui n’en savait rien. Mais il attendait impatiemment de voir se dresser le mur géant qui devait séparer les deux pays. Lorsque le mur sera achevé, lui, Moritz, pourra le voir, du haut de la forêt. Il avait entendu dire que les Hongrois faisaient les mêmes fortifications sur leur terre à eux, de l’autre côté de la frontière. Iohann Moritz était curieux de voir lesquelles seraient les plus hautes. Il était content d’entendre l’adjudant leur dire que les fortifications des Hongrois ne valaient pas deux sous, et que les Roumains pourraient passer dessus, en une seule nuit, s’ils le voulaient. Mais les Roumains ne le voulaient pas. Iohann Moritz s’imaginait très souvent les soldats roumains passant en Hongrie. Il aurait voulu les voir. Si jamais il se trouvait encore là, au moment du combat, il les apercevrait du haut de la forêt. L’adjudant leur disait que les fortifications roumaines étaient si hautes que même un oiseau ne pourrait voler par-dessus. Et c’est pourquoi Moritz s’imaginait qu’elles devaient être très, très hautes. Il y avait des oiseaux qui volaient si haut dans le ciel qu’on arrivait à peine à les voir. Et si eux, ne pouvaient pas passer au-dessus des fortifications roumaines – l’adjudant le leur avait certifié – cela voulait dire que ceux d’en bas ne pourraient plus apercevoir le haut des fortifications qui se perdraient dans le ciel au milieu des nuages. Iohann Moritz se demandait où allaient se trouver les troncs d’arbres qu’il avait abattus de sa propre main. Il aurait voulu les marquer d’un signe et au moment où les fortifications seraient terminées, pouvoir les reconnaître. Peut-être ses troncs d’arbre à lui se trouveraient-ils tout en haut près du sommet. Et chaque jour, en coupant du bois dans la forêt, Iohann Moritz pensait à ces choses-là. Le temps passait plus vite. C’étaient peut-être des bêtises. Si quelqu’un avait pu voir ses pensées, il se serait roulé par terre de rire. Mais lui, les aimait bien. Il ne voulait jamais penser à sa maison, à son village. Il sentait son sang lui monter à la tête.
Un beau jour Strul vint le trouver dans la forêt en l’appela au bureau. Depuis qu’il avait signé le papier de divorce, Moritz n’avait jamais remis les pieds au bureau. Chaque fois qu’il y entrait et qu’il voyait la table et l’adjudant, il se rappelait le coin sur lequel se trouvait le papier ce jour-là et la manière dont il s’était accoudé pour signer. C’est pourquoi il ne voulait plus y revenir. Il ne voulait plus le voir, même de loin. Mais maintenant qu’il y était appelé, il devait bien s’y rendre. L’adjudant n’était pas dans le bureau. Seuls se trouvaient dans la pièce le docteur Abramovici, Strul et le cuisinier du camp, Hurtig. Moritz les salua. Ils répondirent amicalement à son salut. Puis ils lui tendirent une chaise.
Moritz s’attendait à voir apparaître l’adjudant. Si on l’avait fait venir de la forêt, c’est que l’adjudant avait à lui communiquer quelque chose d’important.
– L’adjudant n’est pas là. Nous pourrons causer tranquillement, dit le docteur Abramovici. Il tendit à Moritz une cigarette. Le docteur Abramovici avait toujours des cigarettes. Et des bonnes, de celles qui sont chères.
– Iankel, dit le docteur Abramovici. Ta femme t’a quitté. Moritz changea de couleur. Il était tout blême.
– Cela ne vous regarde pas, dit-il. C’est mon affaire et non pas celle des autres.
– Je voulais seulement dire que personne ne t’attend à la maison si tu quittes le camp, dit le docteur Abramovici. Personnellement, je ne crois
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