La 25ème Heure
demanda Nora.
– Tout est vrai, dit Traian. Dans mon roman j’ai écrit le nom de la rue, de la ville et du pays où habitent mes personnages. J’ai divulgué jusqu’à leurs numéros de téléphone. D’ailleurs toi aussi, tu connais mon premier personnage. Tu peux vérifier l’authenticité des faits relatés.
– Qui est ton premier personnage ?
– Iohann Moritz.
Le front de Nora se rembrunit. Tout ce que Traian venait de raconter sur Iohann Moritz était vrai.
– J’ai terriblement pitié de lui ! dit-elle. C’est donc lui le héros de ton premier chapitre. Et qui sera le héros du second ?
– Je n’en sais rien encore, dit Traian. Peut-être mon père ou ma mère. Peut-être moi, ou peut-être toi. De toute façon ce sera l’un d’entre nous.
– Et tous les chapitres ressembleront à celui de Iohann Moritz ? demanda Nora. Il n’y a pas dans ton roman une seule belle destinée, une seule happy-end ?
– Non, pas une seule, répondit Traian. Après la mort des lapins blancs il n’y a plus de happy-end possible. Il y a seulement quelques heures avant que tout soit fini.
55
Iohann Moritz se trouvait depuis déjà deux heures en Hongrie. Les trois juifs et lui-même avaient d’abord attendu devant la gare. Ils avaient eu peur de pénétrer dans la salle d’attente. Puis leur train était arrivé.
Le docteur Abramovici, Strul et Hurtig montèrent dans un wagon de deuxième classe. Iohann Moritz demeura sur le quai et leur tendit les valises par la fenêtre. À la dernière minute, il sauta sur le marchepied. Hurtig le prit par le bras, le tira à l’intérieur et referma la portière. Moritz était tout pâle. Il avait eu peur en pensant qu’il aurait pu rester seul sur le quai. Que serait-il devenu, en Hongrie, sans le docteur Abramovici et les autres ? Il remercia Dieu d’avoir pu monter à temps.
Le docteur Abramovici et Hurtig trouvèrent immédiatement des places. Strul et Iohann Moritz regardèrent dans tous les compartiments. Les lumières étaient éteintes, tous les voyageurs dormaient et il n’y avait aucune place libre. Ils restèrent dans le couloir assis sur les valises. Peu de temps après une femme descendit et Strul prit sa place dans le compartiment. Moritz demeura seul dans le couloir. Le docteur Abramovici ouvrit la porte du compartiment et lui dit :
– Ne t’endors pas, on pourrait voler les valises.
– Je ne m’endormirai pas, répondit Moritz. Mais dès que le docteur ferma la porte du compartiment, il s’endormit. Il tombait de sommeil. Il ferma les yeux et ne les rouvrit qu’à Budapest.
Lorsqu’il descendit du train, il faisait déjà jour. Moritz avait soif, mais Hurtig ne lui donna pas la permission d’entrer dans un restaurant pour boire une limonade. La police pourrait le trouver dans le restaurant, découvrir qu’il s’était évadé de Roumanie et les arrêter tous les quatre.
– Ma sœur te donnera un grand verre d’eau, dit le docteur Abramovici.
Et ils partirent plus loin. À la gare ils s’arrêtèrent un moment devant la file d’autos et de voitures.
– C’est plus sage d’aller à pied, dit Hurtig. Le cocher pourrait nous dénoncer. Ce serait bête de nous faire arrêter à présent que nous sommes arrivés à Budapest ! Et ils partirent à pied. Moritz portait des valises sur ses épaules et à la main. Elles étaient très lourdes. Mais il avait moins de difficulté à les porter que la nuit d’avant lors du passage de la frontière.
" Peut-être ces valises me semblent-elles moins lourdes parce que je marche sur l’asphalte ", pensa-t-il en appuyant très fort la plante du pied nu sur l’asphalte froid. Les tramways ne circulaient pas encore. Il était trop tôt. Moritz regardait les lumières électriques s’éteindre toutes seules dans la rue et demanda à Hurtig qui les éteignait.
– Ne parle donc plus roumain, espèce d’âne ! dit Hurtig en colère. Si on nous entend parler roumain nous risquons tous d’aller en prison.
– Il est défendu de parler roumain ?
– Ce n’est pas défendu, dit Hurtig. Mais ici tous les Roumains sont envoyés dans les camps de concentration.
La Hongrie est l’ennemie de la Roumanie. As-tu compris maintenant ?
– Et comment parlerons-nous alors ?
– Yiddish, répondit le docteur Abramovici. En Hongrie, les juifs ne sont pas poursuivis comme en Roumanie. Jusqu’à présent tout au moins, il n’y a pas encore de lois
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