La 25ème Heure
autre ? dit Moritz, chagriné que Iulisca ait même pu penser telle chose.
– Je t’apporterai tout le chocolat qu’on me donnera. Je n’en goûterai même pas.
Cette nuit-là Iohann Moritz fit un rêve. Dans son rêve il travaillait déjà à la fabrique de chocolat.
Le lendemain matin le docteur Abramovici fit ses adieux à sa sœur et à son beau-frère et partit. Moritz transporta les valises à la gare et les monta dans le wagon-lit.
– Vous vous en allez très loin ? demanda-t-il.
– En Suisse, dit le docteur. Je vais me reposer quelques semaines avant mon départ pour les États-Unis.
Au moment du départ, le docteur Abramovici lui tendit la main.
Iohann Moritz sentit le rouge lui monter au visage. Sur le quai tous les messieurs avaient regardé le docteur Abramovici lui serrer la main à lui, un homme qui n’avait pas de chaussures aux pieds.
Lorsque le train se mit en marche, Abramovici cria par la fenêtre :
– Au revoir, cher Iankel ! Je ne t’oublierai pas. Je ferai quelque chose pour te tirer de là.
– Au revoir, dit Moritz.
Lorsque le train eut disparu dans le lointain, Iohann Moritz se mit à pleurer. Il se sentait abandonné et seul au monde. Hurtig et Strul étaient partis sans même lui dire au revoir. Et maintenant le docteur aussi venait de partir. Moritz demeura encore longtemps sur le quai. Jamais il ne s’était senti aussi étranger. Puis il se souvint de sa fabrique de chocolat. Son chagrin s’évanouit et il partit. En remontant la rue Petöfi il pensait : " Lorsque je commencerai à travailler, j’achèterai à Iulisca un collier de perles de verre. "
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61Iohann Moritz et Iulisca allèrent au marché plus tôt que de coutume. Ils achetèrent au plus vite la viande, les légumes et tout ce dont ils avaient encore besoin, puis remontèrent une rue aux maisons basses.
Moritz tenait le panier de sa main droite, et le bras de Iulisca de sa main gauche. Ils marchaient très vite.
– La fabrique de chocolat se trouve à l’autre bout de la ville, dit Iulisca. Il faut nous dépêcher.
Ils étaient en nage. S’ils tardaient trop, Iulisca n’aurait plus le temps de préparer le déjeuner. Elle avait parlé à un garçon de son village qui travaillait à la fabrique. Il lui avait dit d’amener Moritz un matin, discuter avec le chef. " S’il vient on l’engage tout de suite, car nous manquons d’ouvriers. "
– Peut-être m’engageront-ils tout de suite ! dit Moritz en se frayant chemin à travers une cohue de gens amassés à un carrefour. S’ils m’engagent sur-le-champ, lundi prochain j’aurai ma première paie. Et peut-être aussi du chocolat pour toi.
Il lui serra fortement le bras. Ils se regardèrent et se mirent à rire.
– Puis je vais prendre une chambre, continua-t-il. Je ne peux pas rester toute ma vie à la charge de tes patrons. Je chercherai une chambre près de la fabrique.
– Est-ce que je pourrai venir chez toi ? demanda Iulisca.
Mais il ne l’entendit pas. Ses regards étaient attirés par la cohue. Il se demandait pourquoi il y avait tant de monde. Il y en avait des centaines qui se bousculaient.
Iulisca s’arrêta et essaya de voir, elle aussi, ce qui se passait. Elle s’était souvenue qu’ils devaient se dépêcher.
– Prenons une autre rue, dit-elle. Autrement je n’aurais plus le temps de préparer le déjeuner.
Ils étaient revenus sur leurs pas et marchaient plus vite encore pour regagner le temps perdu. Mais l’autre bout de la rue était fermé par un cordon de police.
Iulisca regarda les agents du coin de l’œil et pressa le pas pour passer plus vite.
– Les gendarmes et les soldats sont les hommes les plus ordinaires du monde ! dit-elle. Jamais je n’épouserai un gendarme.
Iulisca se retourna pour voir si Moritz l’avait entendue. Mais Moritz n’était pas derrière elle. Iulisca le chercha du regard dans la foule. Elle l’aperçut près des gendarmes. Il lui faisait signe de la main.
Iulisca alla vers lui. Elle comprenait maintenant ce qui se passait. Ils se trouvaient pris dans une rafle. Les gendarmes avaient fait un barrage et contrôlaient les papiers de tous les passants avant de les laisser continuer leur route. Ils ne demandaient rien aux femmes, et c’est pourquoi elle avait pu passer.
Iulisca se rappela que Moritz n’avait aucun papier sur lui et elle eut peur. Elle retraversa le cordon de gendarmes. L’un d’eux voulut lui pincer le bras, mais
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