La 25ème Heure
toisant Moritz du regard.
– Trois juifs réfugiés de Roumanie ont-ils habité chez vous ? demanda l’inspecteur.
– À part ma femme, moi-même et ma domestique, personne n’a habité chez moi depuis de longues années.
– Je vous remercie ! dit l’inspecteur.
Isaac Nagy sortit du bureau. Sa femme entra dans le bureau immédiatement après. Elle déclara aussi ne pas le connaître et ne l’avoir jamais vu jusqu’à ce jour.
– Vous avez un frère docteur en Roumanie ? demanda l’inspecteur.
– Je suis fille unique, répondit Rosa Nagy.
L’inspecteur jeta un regard sévère à Iohann Moritz et demanda à Rosa Nagy :
– Avez-vous jamais eu à votre service une nommée Iulisca ?
– Jamais ! répondit-elle. Depuis huit ans que je me trouve à Budapest je n’ai eu qu’une seule domestique du nom de Joséphina.
M me Nagy sortit du bureau en souriant. Après elle, une vieille femme entra qui déclara s’appeler Joséphina et être au service de la famille Nagy depuis huit ans sans interruption. L’inspecteur demeura de nouveau seul avec Iohann Moritz.
– Maintenant, au moins, reconnais-tu avoir menti ? demanda-t-il. Dis la vérité ! Pourquoi t’ont-ils envoyé en Hongrie ?
Iohann Moritz se mit à pleurer…
64
Du bureau de l’inspecteur Varga, Iohann Moritz fut conduit directement à la chambre de torture, comme d’habitude. Mais jamais encore, il n’avait eu aussi peur qu’aujourd’hui. En pénétrant dans la chambre du sous-sol, la lumière le frappa en plein visage. Dans cette pièce régnait toujours une lumière blanche comme la craie. Les lampes étaient grandes et puissantes.
Iohann Moritz ferma les yeux. Mais la lumière lui brûlait les tempes comme du feu.
– Déshabille-toi ! ordonna le gardien en riant. C’était l’un des deux hommes gras, à moustaches, qu’il trouvait toujours en train de jouer aux cartes. Moritz défit le col de sa chemise. S’il ne se déshabillait pas au plus vite, l’un des deux gardiens viendrait le frapper à coups de cravache à travers la figure. Il le savait bien.
Mais ses doigts étaient tout enflés et il n’arrivait pas à défaire les boutons minuscules de la chemise. Moritz avait terriblement peur de faire attendre les deux hommes. Jamais encore il n’avait tellement redouté la cravache. Il jeta un regard du côté des deux gardiens qui continuaient à jouer aux cartes. Ils étaient tellement pris au jeu qu’ils n’observaient même pas la lenteur de ses gestes. Moritz réussit enfin à enlever sa chemise. Il n’avait pas à laisser tomber son pantalon. Il restait debout. Devant lui se trouvait un râtelier où s’alignaient des baguettes de fer comme celles dont on se sert au régiment pour nettoyer le canon des fusils. Elles étaient alignées suivant leur grosseur. À gauche du râtelier se trouvaient celles de la grosseur d’un pouce. Les autres suivaient, de plus en plus minces. Il y avait vingt grosseurs différentes et deux baguettes de chacune. Moritz les comptait aujourd’hui pour la première fois. La plus mince se trouvait à l’autre bout du râtelier, à droite. Elle était aussi fine qu’un brin de paille. Moritz savait la souffrance exacte que produisait chacune de ces baguettes.
– Au travail, mon garçon ! ordonna l’un des deux gardiens en se mettant debout. Sur la table les cartes demeuraient éparses.
– Qui ne travaille pas, ne dîne pas, dit-il.
Moritz le vit s’étirer. Il portait un tricot bleu qui moulait son buste épais. Il avait l’air d’avoir sommeil.
Le second gardien éteignit sa cigarette et jeta un regard à Moritz.
– Alors ? est-ce qu’aujourd’hui tu voudras nous dire pourquoi ils t’ont envoyé ici ?
La voix du gardien était aussi paisible que s’il lui avait demandé du feu pour allumer une cigarette.
Après avoir parlé il bâilla et s’étira, tout comme avait fait le premier.
– Puisque je vous dis que personne ne m’a envoyé ici ! répondit Moritz.
Les deux gardiens tournèrent vivement la tête. Ils tressaillirent comme touchés au fer rouge. Leurs yeux scintillaient de colère. Iohann Moritz se mit à trembler. L’un des gardiens se dirigea vers lui et lui donna un coup en plein visage, sous le menton. Il le frappa une fois. Puis encore une fois. Moritz ne sentait plus son menton.
Le second l’attrapa et l’étendit sur le banc qui se trouvait près du râtelier. Puis il grimpa à califourchon
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