La 25ème Heure
l’inspecteur Varga qui menait l’enquête. Il avait encore cent pas à faire. Et rien qu’à y penser, il sentit toutes ses forces l’abandonner et s’écroula par terre. Le gendarme passa son bras sous ses aisselles et le souleva. Iohann Moritz était devenu aussi léger qu’un enfant. Les os et la peau : c’était tout ce qui pouvait encore peser quelque chose. Quant à la chair et à la graisse, il n’en était plus question.
63
Lors de son arrestation, Iohann Moritz avait fait une déclaration. Il avait raconté exactement comment il était arrivé en Hongrie. Les gendarmes ne l’avaient pas cru. Ils l’avaient frappé pour lui faire dire la vérité. Mais, après avoir été torturé, Moritz avait répété son histoire exactement de la même façon. Et alors ils l’avaient battu de nouveau.
Maintenant il se trouvait à la prison du Service Secret hongrois. Et chaque jour il était interrogé, puis battu.
– Pourquoi as-tu été envoyé en Hongrie ? demanda l’inspecteur.
– Personne ne m’a envoyé en Hongrie, répondit Moritz.
– Tu as déclaré avoir été conduit jusqu’à la frontière par un adjudant, en camion militaire !
– C’est vrai. L’adjudant s’appelait Apostol Constantin. C’était le commandant du camp, répondit Moritz. C’était l’ami du docteur Abramovici. Il nous a accompagnés pour que les patrouilles ne nous arrêtent pas.
– C’était le commandant Tanase Ion, des services d’espionnage roumain, dit l’inspecteur. Nous savons qu’il travaille dans ce secteur. Il nous envoie des agents chaque mois. C’est lui qui t’a envoyé. Mais nous voulons savoir pourquoi il t’a envoyé. Quelle est ta mission ?
Moritz baissa les yeux.
– J’ai dit toute la vérité ! dit Moritz.
Il savait que dans quelques instants il serait mené à la chambre de torture au sous-sol. Sa chair commençait déjà à lui faire mal.
– Tu ne te rends donc pas compte que toute cette comédie ne sert à rien ? dit l’inspecteur. C’est stupide de résister encore. Tu as déclaré avoir été enfermé dans un camp de juifs en Roumanie pendant dix-huit mois.
– J’y ai été, dit Moritz.
– Tu n’y as même pas mis les pieds. Tu es Roumain.
– Je suis Roumain, dit Moritz.
– En Hongrie, tu as voulu te faire passer pour juif, dit l’inspecteur. Et pour nous forcer à te croire tu as déclaré avoir été envoyé en Roumanie dans un camp de juifs. Puis tu as déclaré avoir passé la frontière avec encore trois juifs.
– Cela aussi est vrai, dit Moritz.
– Ce n’est pas vrai. Tu es venu tout seul. Et tu n’as pas habité chez Isaac Nagy. Personne n’a habité chez les Nagy depuis six mois. Tu t’imaginais que nous allions te croire sur parole, et ne pas faire d’enquête. Dans ce dossier, j’ai les déclarations écrites de M me et de M. Nagy. Ils n’ont jamais entendu parler de toi. M me Rosa Nagy n’a pas de frère docteur.
– Ils ont dit qu’ils ne me connaissaient pas ? demanda Iohann Moritz. Madame ne peut pas dire une chose pareille. J’ai travaillé dans la maison, j’ai fait le marché avec Iulisca, j’ai lavé la vaisselle…
Iohann Moritz se mit à pleurer. L’inspecteur cria :
– Et ceci aussi est un mensonge. M me Rosa Nagy n’a pas de domestique du nom de Iulisca. Si tu voulais mentir, tu aurais dû connaître au moins le nom de la domestique !
L’inspecteur riait :
– J’ai interrogé aussi la domestique de M me Nagy. Elle se trouve dans la maison depuis huit ans. Iulisca, c’est toi qui l’as inventée. Tu pensais nous tromper, hein ? C’est le commandant Tanase qui t’a mis en tête l’histoire de Iulisca pour que tu puisses nous la répéter ?
Iohann Moritz ferma les yeux. Il attendait qu’on fasse appeler le gardien. Il attendait qu’on le mène à la chambre d’en bas. Il ne voulait plus penser à rien. Pourtant il était torturé par l’idée que M me Nagy avait pu déclarer ne pas le connaître. Il ne pouvait le croire.
Iohann Moritz entendit la porte s’ouvrir. Puis des pas s’approchèrent. Ce n’étaient pas ceux de la sentinelle qui devait l’amener à la chambre du sous-sol. Il ouvrit les yeux. Isaac Nagy se trouvait devant lui. Il portait un costume neuf, marron, et ne le regardait même pas.
– Vous connaissez cet individu ? demanda l’inspecteur.
– Je le vois aujourd’hui pour la première fois, répondit Isaac Nagy,
Weitere Kostenlose Bücher