La 25ème Heure
reste du chemin, la tête basse. Il avait regardé attentivement les pieds des gens qui passaient près de lui. Tous étaient chaussés, tous portaient des souliers ou des bottes. Moritz était tout honteux. Il aurait voulu que la terre s’ouvrît pour l’engloutir. Il essaya de demander pardon au docteur, mais le docteur marchait devant lui, mains dans les poches, comme s’il l’ignorait.
59
Ils s’arrêtèrent devant la porte d’une vieille maison, avec un petit jardin fleuri. Le docteur prit les valises et entra tout seul. Moritz resta sur le seuil. Il lut l’écriteau fixé au mur. Il y était écrit " Consulat ". Puis il se remit à regarder les gens qui passaient dans la rue.
Le docteur Abramovici ne demeura pas longtemps absent. Il revint sans les valises. Il descendait les marches en riant. Mais en voyant Moritz qui l’attendait appuyé au mur, son sourire se figea sur ses lèvres. Il s’arrêta sur place, mit les mains dans les poches, et parut réfléchir un moment. Son front s’était rembruni. Sur le chemin de retour, le docteur ne desserra pas les dents. Iohann Moritz marchait derrière lui à une grande distance pour que les gens ne puissent pas deviner que M. le docteur était accompagné d’un homme nu-pieds. Moritz n’aurait voulu pour rien au monde causer cette honte au docteur Abramovici.
Devant la porte de Isaac Nagy, le docteur s’arrêta. Il attendit que Moritz soit auprès de lui, et lui dit :
– Yankel, ton cas est des plus compliqués. La communauté juive de Budapest, qui nous fait les papiers pour le départ en Amérique, ne veut pas s’occuper de toi. Je leur ai dit que tu es venu avec nous, je les ai suppliés de t’aider, mais en vain. Ils m’ont répondu qu’ils ne pouvaient pas s’occuper des chrétiens. Le comité juif doit aider les juifs. C’est pour cela qu’on l’appelle " Comité Israélite ". Et toi, tu n’es pas juif. N’est-il pas vrai ?
– Je ne le suis pas, monsieur le docteur.
– Ils ont raison, continua le docteur Abramovici. Mais je regrette qu’il en soit ainsi. Je voulais t’emmener avec moi en Amérique. Mais je ne suis pas homme à t’abandonner.
Le docteur Samuel Abramovici ouvrit son porte-monnaie et commença à compter les billets. Iohann Moritz regardait les billets hongrois. Il s’étonnait de les voir tellement petits.
– Voilà 20 pengœs, dit le docteur Abramovici, pour te payer de ta peine. C’est une grosse somme d’argent. Ici en Hongrie il faut travailler une semaine pour gagner 20 pengœs. Et toi tu les as gagnés rien qu’en transportant des valises pendant quelques heures.
Iohann Moritz n’avait jamais pensé réclamer de l’argent parce qu’il avait transporté les valises. Il ne l’avait pas fait pour de l’argent. Mais le docteur demeurait la main tendue. Moritz prit l’argent et le fourra dans sa poche.
– Le plus important c’est de t’avoir fait sortir du camp, et de t’avoir amené ici, continua le docteur Abramovici. Si nous ne t’avions pas aidé à t’évader, tu serais encore en train de pourrir là-bas. Mais je ne te demande rien en échange. Je ne suis pas un homme à réclamer quoi que ce soit pour les services que je rends aux autres.
60
Iohann Moritz se trouvait depuis une semaine en Hongrie. Et aujourd’hui il faisait le même travail qu’au premier jour : il accompagnait Iulisca au marché, coupait le bois, descendait le seau à ordures et lavait la vaisselle. Le soir, il nettoyait la cuisine, lavait le plancher et les escaliers.
Un dimanche matin, Isaac Nagy rencontra Iohann Moritz dans le couloir et lui dit d’une voix dure :
– Tu n’as pas encore trouvé de travail ? Il y a bientôt une semaine que tu es ici. Tu ne crois quand même pas que je vais te faire l’aumône toute ma vie.
Et Isaac Nagy partit sans ajouter un mot. Iohann Moritz regrettait de ne pas avoir cherché de travail. Il n’y avait même pas pensé. Il se croyait engagé comme serviteur chez Isaac Nagy.
" Comment ai-je pu être assez idiot pour ne pas chercher de travail ? se dit-il. Ces gens ont raison. Ils ne peuvent pas me nourrir toute leur vie. "
Ce soir-là, Iohann Moritz en parla à Iulisca qui lui promit de lui trouver quelque chose. Elle connaissait quelqu’un à la fabrique de chocolat.
– Et peut-être m’apporteras-tu du chocolat, dit-elle. À moins que tu ne le donnes à une autre.
– Comment le donnerais-je à une
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