La 25ème Heure
d’ouvrier. L’uniforme d’ouvrier est comme celui d’un prêtre. Mais cela, tu ne peux le comprendre. Vous, les Hongrois, vous ne regardez que les femmes. Vous êtes tous des barbares.
76
Le lendemain matin à quatre heures, Iohann Moritz entra tout seul dans la grande salle cimentée et s’approcha du chariot qui lui avait été désigné la veille. Il y avait encore cinq minutes avant que le travail commence. Il était tout ému. Il portait une salopette bleue qui lui couvrait tout le corps et les sabots dont il était chaussé résonnaient sur le ciment comme des coups de marteau. Il avait d’abord essayé de marcher sur la pointe des pieds. Il n’ai mait pas faire tant de bruit à lui tout seul. Mais les sabots tapaient tout aussi fort. Lorsqu’il se trouva au milieu de la salle, il entendit quelqu’un l’appeler. Il n’avait pas prononcé son nom mais Moritz savait bien que c’était lui qu’on appelait. Il en était certain. Et il tourna la tête. À ce moment même, on l’appela une seconde fois. Il entendit clairement :
– Salve Sclave !
Une masse de cheveux noirs, un visage aux grands yeux, à moustache et aux dents blanches comme de la porcelaine était apparu derrière une petite fenêtre aux barreaux de fer. L’homme était jeune, maigre comme un squelette et fixait sur Moritz de grands yeux noirs ardents. On ne voyait pas son corps. À l’instant précis où leurs regards se rencontrèrent, il lui dit comme s’ils se connaissaient déjà de longue date :
– Salve Sclave 2 !
– Je m’appelle Ianos Moritz, dit Iohann Moritz, certain que le jeune homme le confondait avec quelqu’un qui se nommait Salve Sclave. La sirène de l’usine se mit à siffler. Les machines démarrèrent. Moritz se trouvait à son poste, sur la balustrade. Le jeune homme aux cheveux noirs resta un moment encore à la fenêtre, lui souriant amicalement. Il avait entendu ce que lui avait répondu Moritz et cependant avant de disparaître, il dit encore une fois, en le fixant :
– Salve Sclave !
Iohann Moritz attrapa les premières caisses qui apparurent sur le rail et les posa sur le chariot vide. Si les caisses n’avaient pas été tellement lourdes, même un enfant de sept ans aurait pu faire ce travail. Moritz savait que ces caisses contenaient des boutons. Il aurait bien aimé les voir. Mais toutes ces caisses étaient fermées. Et même si elles avaient été ouvertes, il n’aurait pas eu le courage de soulever le couvercle et de regarder les boutons. " En janvier un Italien a été exécuté… Aujourd’hui un Tchèque va être jugé. "
Moritz se rappela que ce dernier avait voulu percer les secrets de l’usine Knopf und sohn. Il pensait au Tchèque, qui devait se trouver à ce moment même devant les juges et qui demandait sans doute pardon d’avoir appris les secrets de la fabrique de boutons. Ensuite il pensa à l’Italien auquel on avait coupé la tête. Il avait vu beaucoup d’Italiens et tous étaient très gais. Et c’est pourquoi il s’imaginait que celui qui avait été exécuté avait dû être, lui aussi, d’un naturel très gai. Il voyait la tête de l’Italien à la moustache noire et fine, rouler en souriant aux pieds du bourreau.
Iohann Moritz se jura de ne jamais regarder les boutons même si l’une des caisses venait à s’ouvrir par hasard. Cela ne valait vraiment pas la peine de se faire couper la tête pour avoir regardé des boutons. Ensuite il se dit que ces boutons étaient destinés à l’armée. En prenant la caisse dans ses bras et en la posant dans le chariot vide, car celui qui était chargé était parti sans qu’il l’eût observé, il se demanda quel genre de boutons cela pouvait bien être. Il y avait bien des boutons pour la marine, pour l’infanterie et pour l’aviation. Il y en avait des noirs, des dorés, des kakis. Moritz aurait aimé que la caisse qu’il tenait entre ses bras. fût remplie de boutons dorés. C’étaient les plus beaux. On dirait des petites pièces d’or. Ce sont ceux-là que les marins avaient sur eux. " Peut-être bien que cette caisse contient des boutons pour les marins… "
Iohann Moritz se rappela tout à coup les paroles du fonctionnaire : " Nous apprenons tout ce qui te passe par la tête. Nous photographions tes pensées. "
Il se força de ne plus penser aux boutons de la caisse. C’était un secret et Moritz ne voulait pas connaître les secrets de l’usine.
Après un
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