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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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la bouche pour qu’il ne puisse pas raconter le " chapitre suivant ". Elle avait trop peur.

LIVRE TROISIÈME

 
75
     
     
     
    –  On nous a recommandé de te donner un travail facile, dit le fonctionnaire de la fabrique. Tu es encore malade. D’ailleurs on ne nous envoie que des malades.
    Il regarda Iohann Moritz avec haine. Puis il jeta un regard sur le papier qu’il tenait à la main et de nouveau il regarda Moritz avec suspicion. Depuis deux ans qu’il se trouvait en Allemagne, Moritz était toujours regardé de la même manière. Il était sans cesse soupçonné de crimes qu’il n’avait pas commis, mais qu’il était assuré de commettre un jour.
    – Hongrois ? demanda le fonctionnaire. J’ai déjà eu des Hongrois et je n’ai pas été content. Peut-être en sera-t-il autrement en ce qui te concerne !
    Il eut un petit rire et se mit à lire, à haute voix :
    – Moritz Ianos, Hongrois, trente-deux ans, ouvrier non qualifié, arrivé en Allemagne le 21 juin 1941.
    Iohann Moritz qui se savait devenu depuis deux ans citoyen hongrois, parce que cela était écrit ainsi dans les papiers, suivit les gestes du fonctionnaire qui lisait maintenant la liste des fabriques, des usines et des camps de travail du Grand Reich allemand, où lui, Iohann Moritz, avait travaillé jusqu’à ce jour. La liste était très longue. Tous les genres d’industries y passaient. Iohann
    Moritz se sentait fier d’avoir passé par tellement d’endroits. Un moment il eut devant les yeux la vision des dizaines de camps entourés de barbelé, des dizaines de camps où il avait travaillé, des fabriques, des villes, des souffrances qu’il avait endurées. Moritz s’attendait à ce que le fonctionnaire fût émerveillé du cou rage avec lequel il avait affronté et subi tant d’épreuves avant d’arriver ici, devant lui. Mais le fonctionnaire jeta un coup d’œil indifférent sur tous les noms d’endroits où Moritz avait souffert et s’arrêta au dernier paragraphe : " Sorti de l’hôpital pour ouvriers étrangers n° 707, le 8-5-43. "
    Moritz était ébahi de voir un homme parcourir ainsi la liste de ses souffrances, sans s’apitoyer. Mais le fonctionnaire ne s’attendrit pas. Il prit le crayon et écrivit, en bas de la page dans un petit coin qu’il trouva encore libre : " Présenté au travail à la fabrique de boutons Knopf und sohn le 10-3-43. " Puis il mit le carton dans un tiroir qui en contenait d’autres semblables et regarda Moritz :
    – " Discipline, obéissance, travail, ordre ! " Telle est notre devise pour les ouvriers étrangers. Dans cette fabrique il y a aussi des ouvrières allemandes. J’attire ton attention sur un fait très important : tout contact avec une femme allemande est puni d’au moins cinq ans de prison. Notre directeur est intraitable sur ce chapitre. Toute femme allemande possède, collé à la peau, un petit billet qui te donne droit à cinq ans de prison. Si jamais tu mets la main là où il ne faut pas, tu sais ce qui t’attend. Et ne va pas t’imaginer que tu puisses obtenir autre chose d’elle. Le Hongrois que nous avons eu avant toi est aujourd’hui en prison. Je l’ai prévenu à son arrivée, tout comme je te préviens aujourd’hui, mais il n’a pas voulu tenir compte de mes avertissements. Il croyait sans doute, puisqu’il faisait noir et qu’il s’était caché avec la femme sous la couverture, que personne n’irait le découvrir. Mais dans notre Grand Reich allemand tu ne peux faire un seul mouvement sans qu’on le sache aussitôt. Même sous la couverture. Tu ne peux faire un seul geste sans que nous en soyons informés sur-le-champ. Nous devinons tout ce qui te passe par la tête. Tes pensées. Toutes tes pensées. Nous photographions dix fois par jour toutes tes pensées ! Passons au second point : notre fabrique travaille pour la guerre. Tout ce que tu vois et tout ce que tu entends est secret militaire. L’ouvrier étranger ne doit pas savoir ce que produit la fabrique, comment et combien elle produit, si tu essaies de l’apprendre, tu risques ta tête. En janvier un Italien a été exécuté. Actuellement un Tchèque va être jugé pour avoir essayé de percer les secrets de l’usine Knopf und sohn.
    Le fonctionnaire se mit debout et se dirigea vers la porte suivi de Iohann Moritz.
    – Je n’ai pas été content des Hongrois qui sont passés par ici jusqu’à aujourd’hui, dit le fonctionnaire. Tous sont maintenant en prison.

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