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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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Sclave !
    Moritz alla déjeuner en pensant que la ressemblance entre lui et ce Salve Sclave devait être parfaite du moment que le jeune homme aux yeux noirs l’appelait ainsi, même après qu’il lui eut dit son nom.
    Avec le temps, il apprit que le jeune homme de la fenêtre appelait tous les camarades étrangers qui travaillaient à l’usine Salve Sclave. C’était un Français. Il prétendait s’appeler, lui aussi, Salve Sclave. Mais Moritz apprit par la suite que son nom était Joseph.
     
     
     
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    Iohann Moritz travaillait depuis cinq mois déjà à l’usine de boutons et il n’avait plus laissé tomber une seule caisse. Dès qu’elles arrivaient devant lui, il les posait sur le chariot. Il les prenait sans les voir, sans penser aux boutons qu’elles pouvaient contenir, ni aux généraux qui allaient les porter, ni aux soldats qui, à la parade pour la fin de la guerre, allaient défiler sur la place avec leurs uniformes tout neufs et les boutons brillants contenus dans les caisses qu’il tenait entre les mains.
    Iohann Moritz ne pensait plus. Il ne rêvait plus. Même pas à la tête de l’Italien qui avait roulé aux pieds du bourreau en souriant.
    À certains moments, il aurait voulu savoir ce qui était arrivé au Tchèque qui se trouvait devant les juges le jour même où il était entré à l’usine, s’il avait été condamné ou si on lui avait pardonné.
    Ceci se passait tout au début. Maintenant, Moritz n’avait plus de curiosité pour rien. Lorsqu’il pénétrait dans la salle des machines le Français paraissait toujours à la fenêtre de la fonderie et criait :
    – Salve Sclave !
    Moritz lui répondait : " Salve Sclave ! " sans penser à ce qu’il disait. Il lui souriait sans même s’apercevoir qu’il souriait. Puis il prenait place sur son extrade et attendait les caisses pleines de boutons. Une seule fois il avait essayé de simplifier son travail et de prendre deux caisses à la fois pour les mettre dans le chariot. Mais le rail ne le lui avait pas permis. La chaîne avait touché le bord d’une des caisses en grinçant comme si elle avait voulu mordre. Toutes les fibres de Moritz avaient frissonné comme si on lui avait arraché les dents. À partir de ce moment-là, il n’avait plus jamais essayé de prendre deux caisses à la fois. La machine ne le voulait pas. Et il devait faire ce que désirait la machine. Même s’il avait pu prendre cinq caisses à la fois, il ne l’aurait pas fait. Il était pris par la cadence et il ne pouvait plus se dérober. Le travail n’était ni facile ni difficile. Autrefois, lorsqu’il travaillait dur, il était en sueur, il se fatiguait et il jurait. Maintenant il ne transpirait plus, et ne jurait plus. Il n’avait l’impression ni de travailler ni de rester à ne rien faire. Autrefois, lorsqu’il travaillait, Iohann Moritz pensait à toutes sortes de choses et le temps passait plus vite. Maintenant il ne pensait plus. Pendant qu’il soulevait les caisses et les mettait dans le chariot, il aurait eu tout le temps de s’imaginer mille et mille, choses. Mais sa tête était vide : il n’y avait plus d’images dedans. Pensées et rêves l’avaient quitté. Et il ne pensait même pas à son travail. Il savait bien qu’il effectuait ce travail non seulement avec ses bras, mais aussi avec son cerveau. S’il en avait été autrement, son cœur et son cerveau auraient été autre part. Mais ils étaient là, près des caisses, près de la machine.
    Iohann Moritz sentait que son être se desséchait comme une plante privée d’eau. Le soir, lorsqu’il se mettait au lit, il avait l’impression de se baisser pour prendre une caisse. Le matin, lorsqu’il se levait du lit, il avait l’impression de se redresser après avoir posé une caisse, et d’avoir les mains vides pendant un moment encore. Son sommeil s’était vidé de rêves. Son front et ses yeux s’étaient assombris. Ils avaient pris la couleur des machines et non celle de la terre. Ces derniers temps, Iohann Moritz avait même fini par oublier que les caisses qu’il chargeait contenaient des boutons, et lorsqu’il lui arrivait de se le rappeler – et cela ne lui arrivait pas souvent – il souriait. Et son sourire était sec comme la terre après la sécheresse.
    Les docteurs prétendaient qu’il était malade et Iohann Moritz fut interné à l’infirmerie du camp.
     
     
     
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    Iohann Moritz se trouvait maintenant dans la

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