La 25ème Heure
esclaves qui essaient de briser leurs chaînes, sans aucun outil, simplement avec leur pauvres mains vides. C’est héroïque. Malheureusement elles ne réussissent pas à briser leurs chaînes. Elles déchirent leur propre chair. Les chaînes de l’esclavage sont plus fortes que la chair humaine.
À neuf heures du soir les femmes quittèrent le camp.
En remontant dans les camions elles ne riaient plus. Elles fumaient.
Joseph leur cria, au départ, d’une voix franche, de camarade :
– Salvete Sclavi !
Cette nuit-là, le Français s’évada du camp.
81
– Les officiers ont besoin d’un interprète pour les langues balkaniques, dit le fonctionnaire de la fabrique, conduisant Iohann Moritz au bureau. Sois convenable et respectueux continua-t-il. Ce sont des officiers de l’O. K. W. !
Iohann Moritz attendit devant la porte au moins une heure. Puis il fut introduit. La fumée des cigarettes et l’odeur du vin le prirent à la gorge. Sur la table, il y avait des verres et des bouteilles vides. Lorsque Iohann Moritz entra, personne ne tourna la tête pour le regarder. Iohann Moritz demeura contre la porte. La fumée le suffoquait. Il aurait voulu leur dire qu’il n’était pas un bon interprète, et revenir à ses caisses de boutons. Au moins là-bas il y avait du silence et la fumée des cigarettes ne l’étouffait pas. Il admirait la bande rouge sur les pantalons des officiers. Tous étaient jeunes. Moritz les compta. Ils étaient sept. L’un d’eux s’approcha de Moritz et mit la main sur sa tête. Puis il la lui fit tourner comme un ballon avec lequel on veut jouer. Il contempla son profil droit. Puis son profil gauche.
– Tourne-toi ! lui dit-il. Il regarda sa tête de dos. Puis il lui tâta l’épaule et lui mit la main sous le menton. Il lui dit d’ouvrir la bouche et regarda ses dents. Ensuite il lui ordonna :
– Déshabille-toi !
Iohann Moritz enleva sa salopette et la posa sur le plancher contre le mur. L’officier le suivait tout le temps du regard.
Pendant qu’il se déshabillait, l’officier soupesait tous les gestes. Les autres continuaient à parler et ne s’intéressaient pas à lui.
– Messieurs, dit l’officier qui avait ordonné à Moritz de se déshabiller et qui était un colonel S. S., Messieurs, je veux me livrer devant vous à une démonstration !
Tout le monde se tut et fit cercle autour de Iohann Moritz qui demeurait nu et perplexe devant eux. Il avait été appelé comme interprète et ne comprenait rien à ce (que disait maintenant le colonel. Il revit en pensée les démonstrations de cirque. Au cours de ces démonstrations un homme de la salle était appelé sur la scène et le prestidigitateur lui sortait de la poche des chats vi vants, des lapins et des oiseaux. Pour lui, c’était cela des démonstrations. Il n’en connaissait pas d’autres. Et maintenant, voilà que le colonel voulait faire une démonstration avec lui. Peut-être une démonstration comme celles qu’il avait vues au cirque lorsqu’il était soldat. Iohann Moritz était très intrigué. Il souriait. Il n’avait pas peur des démonstrations. Il savait bien que les hommes que le prestidigitateur choisissait dans la salle pour se Livrer à ses tours ne sentaient rien. Ils étaient seulement émerveillés. Et lui aussi serait sûrement émerveillé au moment où le colonel sortirait des lapins, des chats et des oiseaux de ses aisselles ou de ses poignets. Moritz continuait à sourire amicalement au colonel. Iohann Moritz aimait les prestidigitateurs. " Je pourrais m’exercer pendant mille ans, je n’arriverais toujours pas à faire comme eux ! " se disait-il. Il admirait le colonel qui savait faire des tours. Iohann Moritz se souvint des paroles de sa mère. Elle disait que les faiseurs de tours étaient les serviteurs du diable. Il se sentait vaguement inquiet. Il ne souriait plus. Le diable lui avait toujours fait peur.
– Messieurs, dit le colonel, cet individu est entré il y a dix minutes dans le bureau. Je ne l’avais jamais vu auparavant. Je ne sais même pas pourquoi il est venu ici !
– C’est l’interprète que vous avez demandé pour les langues balkaniques, dit le fonctionnaire de l’usine.
– J’avais complètement oublié vous avoir demandé un interprète, dit le colonel. Au moment où il est entré sa figure m’a frappé.
Le colonel mit sa main sur la tête de Iohann Moritz. Il souriait. Moritz attendait avec
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