La Bataille
témérité je veux bien, mais pas de
lenteur !
Au soleil depuis le matin, Fayolle commençait à bouillir
sous sa cuirasse et son casque de fer. Son cheval frappait le sol pour se
dégourdir, ou frottait son encolure à celle du voisin. Au sixième rang de son
escadron le soldat ne recevait de la bataille que des bruits sourds, et de
chaque côté il apercevait les flammes des maisons bombardées ; soudain,
plus en avant, entre les dos de ses compagnons il perçut un mouvement.
L’étendard des chasseurs de Bessières flotta au-dessus des troupes, puis Fayolle
reconnut les cheveux longs et poudrés du maréchal qui levait son sabre. Les
trompettes sonnèrent, la voix des officiers répercutait l’ordre de marcher, et,
sur un front d’un kilomètre, les milliers de cavaliers s’ébranlèrent vers les
canons dissimulés par un brouillard qui sentait la poudre.
Fayolle avançait. Son armure pesante, secouée par le trot,
lui brisait les épaules à la jointure. Il avait roulé en boudin son manteau
espagnol pour l’attacher en travers de la poitrine. La lame de son épée,
pointée vers le sol au bout de sa main, pendait contre sa jambe de drap gris.
Il se concentrait, il imaginait l’assaut imminent, il revoyait son ami Pacotte
la gorge ouverte et il se sentait prêt à larder ces sales Autrichiens. Lorsque
les trompettes ordonnèrent la charge, enfin, il piqua des deux éperons les
flancs de son cheval noir et se trouva lancé avec ses compagnons dans un galop
sauvage, l’épée tendue, cinglé par le vent de la course et la poussière, la
bouche tordue dans un interminable hurlement pour oublier le danger, pour
insulter la mort, pour l’effrayer, pour se donner du cœur et s’éblouir, pour se
sentir un simple élément d’une troupe invincible. Une précédente charge des
chasseurs s’était cassée sur des batteries dont les boulets brûlants avaient
fauché du monde, et il fallait sauter les obstacles des cadavres éclatés en
morceaux, éviter que les sabots ne trébuchent ou ne dérapent dans cette
bouillie sanguinolente de tripes et d’os. Au loin, on distinguait à leurs
plumets vert cru les dragons de Bade emmenés par le gros Marulaz, et les
lourdes toques de fourrure des sous-officiers de Bessières qui rassemblaient
leurs cavaliers vers l’arrière, tandis que les cuirassiers fonçaient avant que
les artilleurs n’aient eu le temps de recharger. Les premiers essuyèrent le
choc et les suivants, dont Fayolle, Verzieux, Brunel, volèrent par-dessus les
fûts et les roues des caissons. Fayolle planta son épée dans un cœur, piétina
un bougre qui portait un boulet, en cloua un autre sur sa pièce, puis il
continua à frapper du tranchant, à l’aveuglette, faisant virer son cheval quand
il tomba sur des fantassins blancs formés en carré et qui tiraient. Une balle
sonna contre son casque et il allait se jeter contre ce hérisson de baïonnettes
lorsqu’un trompette signala le repli, pour laisser place nette à d’autres
vagues d’assaut conduites par le général Espagne en personne, défiguré par une
rage, seul en tête, les yeux fous, exposé comme s’il voulait donner raison aux
fantômes qui le menaçaient en rêve depuis sa mésaventure de Bayreuth.
Trop avancé derrière la ligne des canons, Fayolle vit
arriver son général comme une furie, et, tournant bride, voulut se ranger, mais
son cheval leva les pattes de devant, touché entre les yeux. Fayolle désarçonné
tomba sur le dos et la jugulaire de son casque lui scia le menton. À moitié
étourdi il tendit la main vers son épée, dans les blés piétinés, se dressa sur
un coude quand il sentit un coup de sabre, amorti par la crinière du casque,
qui grinça sur sa dossière métallique ; l’officier autrichien en veste
rousse, le cuirassier à quatre pattes, tout fut emporté par la charge du
général Espagne, puis Fayolle sentit une main forte qui lui cramponnait le
bras, il se retrouva en croupe derrière son compère Verzieux ; ils
refluèrent avec l’escadron d’Espagne qui cédait le terrain à une nouvelle
charge. Hors de portée des fusils et des canons, Fayolle se laissa glisser dans
l’herbe et voulut remercier Verzieux, mais celui-ci avait fléchi et se crispait
sur le pommeau de sa selle, incapable d’un autre geste. Fayolle l’appela.
Verzieux avait reçu un biscaïen dans la cuirasse, à la hauteur du ventre, sur
le côté gauche ; du sang fusait à petits bouillons par ce trou que
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