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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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sous les deux bras. Périgord
remit sa torche à l’un des navigateurs. Berthier, Lejeune et ceux qui restaient
virent l’Empereur s’éloigner de l’île, ils distinguèrent un moment son visage
sans expression, sa redingote qui volait au vent ; à quelques brasses la
torche s’éteignit, soufflée par la bourrasque, et l’Empereur disparut dans le
noir absolu, comme si le Danube l’avait englouti.
     
    Lejeune devait porter à Masséna l’ordre de repli que lui
avait dicté l’Empereur, mais il n’avait plus de monture. Sa jument s’était
tordu une jambe au cours de sa dernière galopade, et comme son ordonnance
poireautait sur la rive droite depuis son retour de Vienne, il s’était résigné
à la confier au valet de Périgord qui n’avait aucune notion des soins à donner.
Le temps pressait. Le colonel avisa un sapeur qui tirait par la bride la bête
d’un hussard hongrois :
    — J’ai besoin de cette bête.
    — L’est pas à moi mais à mon lieutenant.
    — Je l’emprunte !
    — Je sais pas si mon lieutenant il est d’accord…
    — Où est-il ?
    — Sur le grand pont qu’on répare.
    — Pas le temps ! Et puis ce cheval a été volé.
    — Ah non ! C’t’une prise de guerre.
    — Je te le ramène avant une heure.
    — Moi j’peux pas prendre la responsabilité…
    — Si je ne te le ramène pas, je le paierai.
    — Qui m’le prouve ?
    Exaspéré par ce sapeur abruti, Lejeune lui passa sous le nez
la lettre signée par le major général et adressée à Masséna. L’autre resta
stupide et lâcha les rênes. Avant qu’il change d’avis, Lejeune grimpa sur la
selle rouge frangée d’or et garnie de fourrure, puis, en se guidant au jugé il
remonta le flot des blessés qui continuaient à passer sur l’île. Plus il
approchait du petit pont et plus le chemin s’encombrait, mais Lejeune poussait
son cheval dans cette foule, n’hésitant pas à renverser des fusiliers à tête
bandée, des hommes sans bras, des invalides, des boiteux qui lui montraient le
poing ou tapaient sur ses bottes. La cohue était tragique sur le petit pont.
Les fuyards y formaient une foule compacte et lente.
    — Place ! place ! gueulait le colonel.
    La masse humaine le débordait, le faisait reculer, il
insistait, repoussait les éclopés de l’encolure, leva même sa cravache sans se
résoudre à l’abattre sur les survivants de la bataille. Ceux-ci levaient des
yeux menaçants ou vides.
    — Ordre de l’Empereur !
    — Ordre de l’Empereur, répéta en grinçant un sergent
des dragons, et il tendait le moignon de son bras gauche empaqueté dans un
linge.
    Lejeune vint au bout de cette interminable épreuve et, sur
la rive gauche, fonça dans la campagne noire par-dessus le talus. Il courait
d’un feu à l’autre dans la direction d’Aspern où Masséna devait camper, mais
comment en être certain ? Voici les blocs sombres des premières maisons,
et là, une ruelle, mais le cheval ne put s’y engager car des murs effondrés
l’obstruaient ; il poursuivit jusqu’à la prochaine ruelle pour gagner la
place de l’église, aperçut une sentinelle qui allumait sa pipe et se dirigea
droit dessus pour s’informer. La sentinelle l’avait entendu venir ; avant
que le colonel ait dit un mot elle demanda :
    —  Wer da ?
    C’était un Autrichien qui lui criait : « Qui
vive ? » Au lieu de s’enfuir et de se cacher dans la nuit, ce qui lui
aurait valu un coup de fusil, Lejeune eut le bon réflexe et répondit dans la
même langue qu’il était un officier de l’état-major :
    —  Stabsoffizier !
    Une autre forme sortit de la ruelle, un major du régiment de
Hiller qui demanda l’heure en allemand. Sans perdre de temps à sortir sa
montre, Lejeune affirma qu’il était minuit :
    —  Mitternackt…
    La sentinelle avait posé son fusil contre une murette, le
major avança, Lejeune tourna bride et se sauva en traversant un buisson. Il
entendit siffler des balles. Il errait au petit trot dans un chemin creux,
l’oreille tendue, croisa des bivouacs allumés mais déserts, s’enfonça dans un
bois qui le ramenait vers le bras mort du Danube. Il passait entre deux arbres
quand un homme saisit le cheval par le mors et qu’un autre lui tira le bras
pour le désarçonner. Ils n’avaient pas de shakos mais à leurs semblants
d’uniformes et à leurs baudriers Lejeune crut reconnaître des voltigeurs
français et cria :
    — Colonel Lejeune ! Service de

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