La Bataillon de la Croix-Rousse
si violente que la haie de l’escorte se trouva rompue.
Les mégères mirent leur poing sous le nez de sœur Adrienne et elles allaient l’écharper quand retentit un juron auvergnat si formidable que tout le tumulte en fut couvert et comme apaisé.
Puis on entendit un bruit énorme de gifles, suivi de hurlements de douleur. C’était M me Adolphe qui tapait…
En un instant la populace fut dispersée, l’escorte reformée, le bedeau aplati et jeté hors des rangs, la prisonnière sauvée…
Puis prenant le commandement des Auvergnats, M me Adolphe cria :
– En avant,… arche ! Et la baïonnette dans le ventre de la première qui dira : ouf. Du silence, n… de D… Du silence ou la mort, fouchtra !…
La foule terrifiée se tut et le cortège défila vers Fourvière sans plus d’encombre.
Évidemment M me Adolphe avait du bon.
C’était une sorte de guenon hystérique, une brute sauvage, capable des emportements les plus féroces, mais sujette à des revirements de pitié et de tendresse, comme toutes les natures primitives.
Le beau et le délicat l’attiraient et la fascinaient.
La corde sympathique ayant vibré en elle en faveur de sœur Adrienne, M me Adolphe devint sa protectrice contre la foule.
L’ayant sauvée, elle l’aima.
Mais sa bonne volonté se trouva paralysée.
Le bedeau, furieux d’avoir été battu, apprenant tout à coup que la lutte venait de se terminer par la prise de l’Hôtel de Ville, le bedeau voyant M me Adolphe passer en quelque sorte à l’ennemi, dégringola les pentes de Fourvière et, traversant la Saône, il alla trouver la baronne.
Il lui expliqua ce qui s’était passé et lui arracha sans peine l’ordre adressé au capitaine Pierre d’expulser M me Adolphe et de n’obéir qu’à lui.
Porteur de cet ordre, il remonta les pentes avec l’agilité d’un chat et il entra triomphant dans Fourvière.
M me Adolphe était précisément en train de se disputer avec le capitaine.
Celui-ci, de concert avec les sacristains, voulait descendre la prisonnière dans les oubliettes et il réclamait un in-pace.
L’in-pace était de tradition en pareil cas.
Mais M me Adolphe s’opposait absolument à ce que la prisonnière fût emmurée dans les cryptes du monument.
– Elle en mourrait ! disait-elle. La baronne veut qu’elle vive et vous allez la tuer !
L’arrivée du bedeau Ravajot mit fin à l’hésitation du capitaine Pierre ; il se fit lire l’ordre apporté par Ravajot, puis il dit à sa compatriote :
– Madame Adolphe, je vous respecte comme ma tante naturelle, quoique vous ne me soyez rien du tout, sinon une payse. Mais, fouchtra, je suis payé pour descendre la petite dans l’in-pace et elle y descendra. Foi d’Auvergnat, je vous fais enlever si vous vous y opposez.
M me Adolphe s’apprêta pour la lutte.
– Gare à vous, ma commère ! dit le capitaine ; si vous griffez, vous serez fessée.
Elle se lança sur lui, mais il était taillé en colosse et il l’assomma d’un coup de poing.
Elle chancela, battit l’air de ses deux grands bras et tomba sur les dalles.
– Zou ! fit le capitaine. Enlevez-la ! Je la vénère, mais elle a voulu m’empêcher d’exécuter mon marché ! tant pis pour elle. Un Auvergnat n’a qu’une parole !
Au bedeau, montrant sœur Adrienne penchée sur M me Adolphe :
– Qu’est-ce que je dois faire ?
– Attendez ! dit le bedeau. J’ai rencontré des prêtres insermentés et ils vont venir : nous chanterons la messe des morts, comme de coutume.
Et, fin renard, supposant que maître Pierre « si respectueux » pour Madame Adolphe qu’il ne lui donnait des coups de poing qu’avec force égards, ne permettrait point qu’un autre y touchât, le bedeau dit au capitaine :
– Emmenez votre compagnie et la prisonnière dans la sacristie et dans la petite cour. Le cérémonial ne vous permet pas de demeurer dans l’église pour l’instant.
Il conduisit lui-même la prisonnière et son escorte dans l’endroit désigné, avec ordre d’attendre sans sortir.
Puis il revint mûrissant une pensée de vengeance contre l’Auvergnate qui l’avait persécuté.
Il trouva M me Adolphe encore tout étourdie, assise sur un banc et regardant avec des yeux hébétés la foule et les sacristains qui l’entouraient.
Il y avait là des femmes dont les joues étaient encore rouges des gifles distribuées par M me Adolphe
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