La Bataillon de la Croix-Rousse
fit secrètement avec M me Adolphe ses préparatifs de départ.
Elle y mit toute la joie enfantine des jeunes filles qui ne savent que peu de choses du monde et surtout des jeunes recluses qui aspirent à la liberté.
M me Adolphe raconta les détails du plan.
– Il faudra nous cacher pendant toute une soirée et une partie de la nuit ! disait-elle.
– Oh ! je serai moins mal que dans l’in-pace ! disait Adrienne, frissonnant encore au souvenir du cercueil.
– Vous savez, quoi qu’il arrive, même quand le carrosse verserait, ne bougez pas.
– Soyez tranquille, M me Adolphe, j’ai du courage et de la fermeté. Je me tairai.
– Du reste, je serai là !
Il faut rendre cette justice à M me Adolphe qu’elle était toujours là, ne quittant guère sœur Adrienne, surtout lorsque dom Saluste lui rendait visite.
C’était pour elle un plaisir de jouer ce rôle de duègne.
Elle rendait compte à la baronne et lui disait :
– Ah ! le brigand de moine, il en tient ! Si vous voyiez ses yeux ! On dirait un chat tout vivant qui rôtit dans la braise.
– Madame Adolphe, recommandait la baronne, méfiez-vous ! S’il lui dit un seul mot d’amour, elle ne partira pas.
– Je ne le perds pas de vue ! Et c’est amusant de les faire pester, ces gueux d’hommes ! Nous en font-ils voir de toutes les couleurs quand on les aime ! C’est bien le moins qu’on les embête quand on ne les aime pas.
Enfin, tout étant prêt pour la fausse évasion qui devait avoir lieu vers le soir à la nuit tombante, M me Adolphe vint chercher ses instructions.
La baronne les résuma dans cette phrase :
– Tant que vous ne serez pas en Espagne, soyez le garde-chiourme de la vertu de sœur Adrienne ! je vous ai donné le moyen de forcer ce moine à filer doux. Si vous réussissez à conduire sœur Adrienne de l’autre côté de la frontière espagnole, il y a pour vous dix mille livres en or.
– Mais pourquoi donc, demanda M me Adolphe, faut-il qu’il attende jusqu’en Espagne, ce moine ?
– Parce que partout ailleurs, sœur Adrienne, découvrant ses intentions chercherait à fuir et y réussirait probablement. Tandis qu’en Espagne, dom Saluste la tiendra en son pouvoir : en vertu de ses pouvoirs comme inquisiteur, il dispose en maître d’un couvent.
M me Adolphe murmura entre ses dents :
– Et il est inquisiteur !
– Est-ce que cela vous contrarie ? demanda la baronne en souriant.
– Ma foi non, quoique ça sente le bûcher, un inquisiteur ! dit M me Adolphe.
Elle reçut trois mille francs en or pour elle-même comme frais de voyage et elle s’en alla, comme elle devait « emballer sœur Adrienne. »
Mais en chemin, elle ne cessait de répéter « Ah ! il est inquisiteur ! »
Et elle secouait la tête comme une mule qui rumine un mauvais coup.
L’enlèvement de sœur Adrienne était facile.
Étant donné qu’elle avait reçu des lettres (fausses) de son fiancé, qu’elle avait toutes raisons pour avoir foi en dom Saluste, rien ne devait entraver ce départ.
Inutile de dire que la supérieure s’était prêtée à tout pour que la prétendue évasion eût une apparence de sérieux.
Il importait pourtant que sœur Adrienne ne soupçonnât point la connivence qui existait entre dom Saluste et la petite communauté.
En conséquence, le jour de l’enlèvement le moine avait raconté à sœur Adrienne qu’il avait ordonné à toutes les sœurs, supérieure comprise, un pèlerinage secret à Fourvières.
La tourière, elle-même ou si l’on veut la domestique, en était aussi.
Donc la maison restait à la seule garde de M me Adolphe.
Il était convenu que le carrosse de voyage entrerait dans la cour du couvent et que sœur Adrienne monterait vivement dedans et se laisserait enfermer au fond de la cachette.
Les choses se passèrent selon le programme dont rien ne troubla l’exécution.
Adrienne avait une foi aveugle dans le moine qui toujours avait montré un vif intérêt pour elle et qui maintenant lui était recommandé par Saint-Giles lui-même, elle le croyait du moins très fermement et sans ombre de soupçon.
Le carrosse arriva dans la cour à l’heure dite : Adrienne s’y installa avec M me Adolphe.
Le cocher, un affidé, les enferma toutes deux dans un compartiment ménagé à l’arrière du carrosse.
Dom Saluste ne devait monter dans la voiture qu’un peu plus tard, ce
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