La Bataillon de la Croix-Rousse
qu’il fit. Le voyage fut rapidement mené.
La nuit venue, le carrosse roulant, dom Saluste donna plus d’aise aux deux femmes.
Celles-ci se recachaient à l’approche du relais.
Souvent, soit aux bureaux des maîtres de poste par les autorités locales soit sur les routes par la maréchaussée, comme le carrosse excitait la curiosité, le cocher fut interrogé ; il répondit que son maître était un diplomate des États-unis d’Amérique, patrie de Franklin, le célèbre et populaire républicain du Nouveau Monde.
Et l’on croyait d’autant plus facilement à ce conte, que dom Saluste se mettait à dire avec un accent anglais très prononcé et à haute voix :
– Aoh, cocher, montre les passeports !
Les autorités, enchantées d’avoir affaire à un républicain étranger de cette qualité et de cette trempe, jetaient un regard distrait sur les papiers et laissaient passer.
Les gendarmes, plus méthodiques, lisaient le signalement, regardaient le faux diplomate, le trouvaient ressemblant, jugeaient tout en règle, saluaient militairement et livraient passage.
Il ne faut pas oublier qu’une convention réciproque rend en quelque sorte sacrés les diplomates d’une ambassade et qu’ils jouissent de la franchise des bagages dans les villes et dans les États.
Pour eux, point de douanes.
C’est grâce à ses passeports, d’une fabrication admirable du reste et où Fex, notaire de l’abbé Roubiès avait déployé tout son talent, que dom Saluste dut d’arriver à Genève sans encombre.
De Genève, il gagna la plus proche ville italienne le plus rapidement possible sans que sœur Adrienne, abasourdie par un pareil voyage, étourdie par les nouvelles que dom Saluste lui faisait annoncer, se rendit compte de ce qui se passait.
Lorsque Dom Saluste fut sur le territoire piémontais, il respira, car, là, on était en pays catholique.
Personne n’aurait pris parti pour une sœur qui rompit ses vœux.
Dom Saluste crut donc pouvoir s’arrêter et faire reposer sœur Adrienne qui en avait grand besoin, brisée qu’elle était par la fatigue.
C’est alors que le rôle de M me Adolphe devint difficile.
Et comme elle l’écrivit à la baronne, car elle savait écrire, elle eut bien du tintouin.
C’est que ce n’est pas chose facile que surveiller un moine.
Dans ses récits révolutionnaires, le conteur stéphanois fait le récit du suicide de Saint-Giles.
Voici les faits :
Le lendemain de la mort de Châlier, dix heures du soir, expirait le délai fixé à la baronne par Saint-Giles pour son évasion.
Comment Saint-Giles, cet homme de cœur et d’intelligence en était-il arrivé à vouloir se tuer parce qu’il était prisonnier ?
Le suicide est presque toujours une lâcheté, oui, presque toujours, mais non toujours.
Il est des cas exceptionnels : Saint-Giles se croyait dans une de ces situations qui justifient l’acte désespéré de l’homme qui se supprime.
En vain, les prétendues lettres de sa mère dont la dernière lui annonçait qu’elle allait mettre toute la famille en sûreté à Villefranche ; en vain les protestations de la baronne et celles du geôlier rassuraient-elles son esprit : au fond du cœur, il n’était point convaincu.
Un jour, une lueur se fit.
« Elle me trompe peut-être, se dit-il ; elle me retient prisonnier, parce qu’elle veut m’avoir à elle. »
Ce soupçon entré dans son esprit, rien ne put le déraciner.
« Si je ne brise pas le cercle d’intrigues dont elle m’entoure, se dit Saint-Giles, je suis déshonoré vis-à-vis de moi-même et peut-être vis-à-vis des autres. »
Il étudia les moyens à employer et n’en vit qu’un : la menacer de se tuer.
Et, nature loyale, répugnant un mensonge, ayant jugé un serment nécessaire pour imposer la conviction à sa maîtresse, il était prêt à se suicider à l’heure dite.
Cette éventualité ne l’épouvantait pas et le séduisait presque ; Sa mère et les autres enfants avaient de quoi vivre : Adrienne trouverait facilement un autre mari et il ne voyait la vie en ces temps troublés que sous le plus noir aspect.
Il n’avait point cessé de regarder le barreau qui grillait sa lucarne.
Saint-Giles avait trouvé que se casser la tête au mur était moins pratique que de se pendre. Ce barreau de la lucarne était son moyen de suicide.
C’était un solide barreau, un barreau sérieux.
Il traçait une raie noire sur le ciel bleu.
Mais ce
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