La Bataillon de la Croix-Rousse
citoyens suspects de jacobinisme, des réquisitions de vivres et de munitions.
Et tout ce monde paraissait animé de la terrible résolution de vaincre ou de mourir.
Ce qui étonnait le plus Saint-Giles, c’est que pionniers et gardes nationaux chantaient la Marseillaise et terminaient chaque refrain par des cris de : Vive la République ! la Liberté ou la Mort !
Au fait des intrigues royalistes, il murmura :
– Comme on les trompe ! Ils croient combattre comme Girondins et ils meurent pour la tyrannie.
– N’est-on pas toujours plus ou moins dupe en politique, lui dit finement la baronne ; toi qui penses à combattre pour la liberté, tu n’arriveras qu’à cimenter de ton sang la dictature d’un Robespierre ou d’un Danton.
Il ne répondit pas, frappé par l’aspect martial d’un bataillon qui défilait.
– Rangeons-nous vite, lui dit vivement la baronne.
Et elle le poussa dans une allée.
– C’est un bataillon de volontaires, lui dit-elle. Regarde son chef. Il passe.
Dans un jeune commandant qui, le bras en écharpe d’une blessure reçue le 20 mai, montait avec grâce un cheval fougueux, Saint-Giles reconnut Étienne Leroyer.
– Ah, dit-il en souriant, mon rival, je crois.
Elle fut enchantée de ce qu’elle prit pour une pointe de jalousie, mais il ajouta :
– Pauvre garçon !
– Et pourquoi donc ? demanda-t-elle.
– Il est encore votre victime bien plus que moi, dit Saint-Giles. Vous lui avez soufflé l’ambition au cœur, il trahit et vous lui avez refusé l’amour…
On arrivait au Rhône.
Il regarda les pentes de la Croix-Rousse, distingua la fenêtre de son atelier donnant sur le fleuve, poussa un soupir et murmura :
– Pauvre ville ! Avant un mois tu seras sous une pluie de feu et tu subiras le châtiment des cités maudites…
Il s’embarqua, pleurant sur Lyon contre lequel il allait combattre.
La barque qui les emportait était une de celles que l’on appelait les accélérées.
Elles étaient montées par cinq hommes dont quatre à l’aller tiraient le cordeau pour vaincre le terrible courant du Rhône ; pour redescendre sur Avignon, on s’abandonnait au fil de l’eau rapide, en augmentant encore la vitesse à coups de rames.
Ces accélérées amenaient du Midi à Lyon les marchandises dont la nature exigeait un transport rapide.
La barque fut lancée dans le courant.
On fut hélé par un poste au sortir de Perrache et les mariniers, accostant, montrèrent des papiers en règle ; on passa.
Pendant le voyage, Saint-Giles, atteint d’une tristesse mortelle, se tint muet à l’avant du bateau pendant le jour, et la nuit, il dormit enveloppé dans une couverture.
De la baronne, nul souci.
Celle-ci se dépitait.
Mais que faire ?
Évidemment, il était désolé d’aller jusqu’à Marseille.
En vain lui avait-elle adressé la parole plusieurs fois, il n’avait répondu que par monosyllabes.
Elle s’était résignée à l’abandonner à ses réflexions.
On arriva ainsi à Avignon, terme du voyage par eau.
La baronne avait réglé le compte du voyage avec les mariniers car Saint-Giles était sans argent, ce qui l’humiliait.
On se mit en quête d’un hôtel royaliste qui avait été désigné comme tel à la baronne. On y fut reçu à bras ouverts.
Audacieuse, disons le mot, cynique, la baronne demanda une chambre pour elle et son mari.
Saint-Giles fronça le sourcil, ne dit mot, eut l’air d’accepter la chose, mais il trouva le moyen de s’esquiver.
Quelques minutes plus tard, la baronne, inquiète de cette fugue, recevait un mot de Saint-Giles.
« Mille pardons, disait-il, de vous fausser compagnie, mais je veux passer ma nuit, en artiste, devant le château des papes ! C’est une occasion que je ne retrouverai peut-être jamais de rêver par un temps de lune splendide devant le monument qui rappelle tant de souvenirs au poète. Je suis noctambule, vous le savez, pardonnez-moi cette fantaisie. »
La baronne déchira cette lettre avec rage.
Heureusement pour elle, la fatigue l’abattit sur son lit où elle dormit d’un lourd sommeil.
Pendant qu’elle était hantée par des rêves de colère et de jalousie, Saint-Giles, connaissant le château des Papes et ne s’en souciant guère pour le moment, s’occupa de trouver, quoiqu’il fût tard, un oncle, frère de sa mère, qui était d’Avignon.
Mais, aux premiers mots, Saint-Giles apprit et la captivité de sa mère,
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