La Bataillon de la Croix-Rousse
lui-même, l’abbé dit à son secrétaire :
– Il nous reste, mon ami, à rédiger le bulletin de demain qui sera complété s’il est besoin.
C’est aujourd’hui 10 août, que les braves Marseillais ont tant contribué à renverser le despotisme royal ; et l’on voudrait nous asservir à eux ! Aujourd’hui a triomphé la cause de la liberté, et chaque Français devrait se livrer aux doux épanchements de la fraternité, et l’on commande au frère d’égorger son frère !
Citoyens, ce tableau est fait pour arracher des larmes ; des hommes courageux n’en doivent point verser. Détournez-en la vue et combattez : Que dis-je ? non, frères et amis, au 10 août, vos batteries ne doivent partir que par nécessité et pour salves d’allégresse ; laissez-les faux patriotes se distraire de leur joie par une canonnade inutile et meurtrière.
Le régime féodal nous a fait longtemps gémir ; les monuments qui en conservent le souvenir sont injurieux pour l’humanité ; brûlez-les.
L’abbé s’arrêta sur ce passage et dit en souriant :
– Vous comprenez, cher enfant, que les Lyonnais républicains ne se possèderont pas de joie en enfumant les ruines des anciens vestiges de la féodalité. C’est un leurre qui leur persuadera que nous sommes républicains jusqu’à la moelle des os. Un peu de fumée leur troublera la vue et… l’esprit… sur nos agissements.
Et il continua à dicter le bulletin dans ce sens…
Quand il fut terminé, il dit à son secrétaire :
– Écoutez, maintenant, le début de notre bulletin d’après-demain : vous comprendrez pourquoi j’ai invité Kellermann qui n’aura garde de venir. C’est fâcheux : c’eût été une belle occasion de le convaincre de la pureté de nos vues et de la sincérité de notre civisme.
– Vous devinez, mon cher enfant, dit Roubiès, que les Lyonnais vont être furieux contre ce bon monsieur Kellermann qui ne sera venu les voir brûler les ruines des monuments féodaux, et qui, furieux aussi de son côté, car il prendra notre invitation pour une raillerie, nous canonnera toute la journée avec rage. Nos Lyonnais constateront que nos batteries n’auront tiré que des salves d’honneur, tandis que l’ennemi aura tiré à boulet.
Il s’interrompit :
– À propos, insérez donc cette phrase dans le bulletin.
Et il dicta :
« Un boulet de dix-neuf livres, lancé par nos ennemis, a été apporté au comité général de surveillance et de salut public. On ne l’a trouvé précieux que parce qu’il n’a fait aucun mal ; nous le gardons comme un monument d’hostilité. (Voir le bulletin du 10 août). »
– Eh ! eh ! fit Roubiès, qu’en pensez-vous ? Ce boulet fera très bien dans le bulletin, rapproché de cette affirmation que nous n’avons tiré qu’à blanc en l’honneur du 10 août.
– Mais, mon père, il faudra le trouver ce boulet ? Voulez-vous que je le fasse chercher demain.
– Ah, naïf, trop naïf séminariste que vous êtes ! Est-ce que c’est la peine de se mettre en quête. Nous en avons à l’arsenal, des boulets ! On y en prendra un du calibre de 12 et on le portera ici comme venant de tomber sur les quais.
Puis il reprit :
– Vous connaissez nos Lyonnais ! Ils vont devenir enragés. Et quand Dubois-Crancé nous enverra une bonne petite proposition consistant à livrer nos têtes à la hache pour sauver Lyon (ce qui pourrait finir par être accepté par les Lyonnais, si nous n’y mettons ordre), toute la ville indignée des procédés des assiégeants refusera de se rendre. Bombardés le 10 août, en pleine fête républicaine, les Lyonnais exaspérés ne feront pas la plus petite concession.
Et souriant :
– Il est très fort ce Dubois-Crancé. Il dit à Lyon : « La Convention accueille en grâce les Républicains et ne veut punir que les meneurs royalistes. » Ce jeu réussirait si nous n’y mettions bon ordre.
Et, sans désemparer, il monta en voiture avec son secrétaire pour activer les préparatifs de la fête.
Quel homme !
Quel prêtre !
Les taupes du commandant Saint-Giles
Cependant le trompette envoyé au camp républicain était sorti par la Croix-Rousse et avait gagné le cimetière de Cuire transformé en une grosse redoute par les Lyonnais.
Il fut reçu par le chef des avant-postes sur ce point : c’était Saint-Giles.
– Ah c’est vous, commandant
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