La Bataillon de la Croix-Rousse
était là par une circonstance toute fortuite.
Ces deux mille hommes se composaient de l’élite de la jeunesse dorée lyonnaise, la fine fleur des muscadins.
Formés en deux bataillons, ils étaient commandés par Étienne Leroyer promu colonel.
Chaque jour il conduisait sa troupe aux avant-postes pour l’aguerrir.
Il se trouvait précisément à portée du cimetière lors de la reprise de la maison rouge par Saint-Giles ; il offrît à de Virieu de la reprendre.
– Lancez-vous donc, jeunes gens ! cria le général, mais faites comme les républicains, à la baïonnette, au pas de course et pas un coup de fusil.
Les muscadins en une seule colonne s’élancèrent avec une bravoure qui crispa les nerfs de Dubois-Crancé.
– Ventrebleu, dit-il, après avoir désigné la colonne lyonnaise, ce sont des muscadins, tous en culottes de soie ! Ils vont prendre nos canons et chasser honteusement Saint-Giles.
Mais tout à coup, il se fit dans la maison un silence qui étonna beaucoup Dubois-Crancé ; Saint-Giles avait fait cesser le feu.
Cela dura près d’une demi-minute et la colonne des muscadins se trouva portée par sa course à trente pas de la maison.
Soudain un coup de mitraille partit et balaya presque à bout portant la tête de la colonne ; une salve de mousqueterie succéda à trois secondes d’intervalle à cette première décharge, puis un second à mitraille, puis encore une salve.
La colonne flottait hésitante sous ce feu dévorant, lorsque les tambours des républicains battirent la charge.
La compagnie tomba, baïonnette croisée, sur la tête de la colonne ; les soldats l’attaquèrent sur le flanc gauche et les muscadins furent ramenés sur le cimetière par cette furieuse attaque.
Pendant cette mêlée, la canonnade avait cessé des deux côtés.
Saint-Giles, qui n’avait voulu que gagner du temps pour permettre à ses mineurs de placer leurs barils, ramena son monde dans la maison et renvoya ses deux pièces d’artillerie.
– Ah ! bravo ! s’écria Dubois-Crancé. Voilà un brave et intelligent garçon. Il sauve nos canons.
Mais Saint-Giles fit mieux.
Éparpillant son monde par piquets de quelques hommes, il fit opérer la retraite ainsi, de telle sorte que l’artillerie ennemie ne put faire grand mal aux siens.
Cependant, Étienne, outré de son échec, avait reformé une colonne et la ramena au feu.
Même silence que la première fois du côté des républicains.
La tête de colonne, étonnée, arriva vers la maison.
Pas un coup de fusil.
Une voix railleuse cria par une fenêtre :
– Au revoir, colonel Leroyer ; mes compliments à Chenelettes, si vous le revoyez.
Étienne reconnut Saint-Giles qui, montrant sa tête par-dessus un mur, salua et disparut.
Les muscadins entrèrent dans la maison, remplissant les cours, les étages, les greniers et cherchant à découvrir les républicains.
Mais la maison était évacuée.
Tout à coup, une détonation suivie de plusieurs autres retentit et la maison ressembla au cratère d’un volcan. En un instant, les murs croulèrent, les toits sautèrent, les voûtes éclatèrent, les fondements crevèrent le sol.
Un immense cri de terreur et d’effroi monta vers le ciel.
La jeunesse dorée de Lyon était ensevelie sous les ruines de cette maison maudite…
Saint-Giles qui arrivait en ce moment, blessé au bras, aux avant-postes, y trouva Dubois-Crancé qui lui dit :
– Citoyen commandant, tu as bien mérité de la patrie.
Et montrant le trompette de Chenelettes retenu pendant le combat :
– Voici, dit-il, le parlementaire de M. de Précy ; n’avais-tu rien à lui dire ?
Saint-Giles sourit et dit d’un air railleur :
– Trompette, tu as vu comment mes taupes travaillent. Va dire à Chenelettes que nous ferons mieux encore.
Le trompette, après avoir sonné la chamade pour faire cesser le feu, éperonna son cheval et partit en sacrant et en jurant, hué par le bataillon de la Croix-Rousse.
Les assiégés profitèrent de cette trêve pour porter secours aux muscadins. Trois cents morts, mourants ou blessés gisaient sous les décombres : impossible de les enlever pendant le court armistice qui permettait au trompette de faire un trajet de six-cents pas.
De Virieu eut à peine le temps d’envoyer des chirurgiens et des coffres d’ambulance.
Mais Dubois-Crancé, qui s’acharnait aux espérances de conciliation, voulut prouver sa bienveillance après cet
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