La Bataillon de la Croix-Rousse
facile.
– Alors, montez à cheval et venez aux avant-postes, nous verrons si Saint-Giles en aura le démenti.
– Allons, dit Kellermann. Mais si je suis étonné, morbleu, je le dirai.
– J’y compte bien.
Ils partirent tous deux, escortés par l’aide de camp Mouton qui, mis au fait, jura sur ses moustaches qu’on ne l’étonnerait pas, lui !
Songez donc ! un sergent du régiment de la Guadeloupe, un homme qui avait connu des boucaniers, survivants de la grande époque…
Et il maugréait.
Encore un mauvais caractère, ce Mouton, qui devait devenir un des brillants généraux de l’empire.
Un peu jaloux, la gloire de Saint-Giles l’empêchait de dormir.
On arriva aux avant-postes.
Il était cinq heures et demie du soir.
Saint-Giles ne portait déjà plus son bras en écharpe.
– Je n’ai pas le temps de me soigner, dit-il aux chirurgiens.
– Mais la plaie peut s’envenimer, dit l’un d’eux.
– Allons donc ! un chien aurait la même blessure, personne n’y ferait attention et elle guérirait toute seule.
– Un chien n’a pas le tempérament vicié de l’homme.
– Permettez, dit Saint-Giles, ma famille a le plus pur sang du monde dans les veines.
Et il n’avait souffert qu’une chose, c’est qu’on le pansât deux fois par jour.
– Eh bien ! Saint-Giles, dit Dubois-Crancé, je vous amène le général qui se refuse absolument à se laisser étonner. Et son aide de camp qui a fait le tour du monde et qui a mangé du serpent en Amérique, est dans les mêmes dispositions.
– Bon ! dit Saint-Giles. Je me suis peut-être un peu trop avancé. Pourtant j’ai bon espoir.
Et, montrant une maison à terrasse :
– Général, dit-il, voilà mon observatoire. Voulez-vous que nous montions là haut ?
– Montons ! dit Kellermann.
Derrière Kellermann que guidait un officier, montèrent Dubois-Crancé, Saint-Giles et le déserteur lyonnais qui avait annoncé le projet de l’ennemi.
À peine arrivé sur la terrasse, Kellermann vit derrière le cimetière des masses d’infanterie et une superbe pièce fondue à Lyon, terminée la veille, et que l’on allait mettre en batterie le soir même, car elle était attelée de seize vigoureux chevaux.
Saint-Giles expliqua le plan de l’ennemi à Kellermann.
– Vous voyez, mon général, dit-il, cette maison à terrasse en avant du cimetière ; elle en flanque les abords. Elle est occupée par un détachement des grenadiers de Guillaume Tell, dont le gros se tient en réserve derrière le cimetière.
– Cette maison, dit le déserteur, s’appelle la maison Danton.
Saint-Giles continua :
– Au-dessous de la maison, se trouve une levée de terre avec une embrasure ; la pièce doit être établie derrière cette levée ; elle prend de flanc toute colonne qui se jetterait sur le cimetière, elle protège la maison rouge que j’ai fait sauter, mais dans les ruines de laquelle l’ennemi s’embusque ; elle balaie enfin mes avant-postes qui seront intenables quand elle tirera. Nous serons donc obligés de reculer à plus de huit cents mètres.
– Morbleu, dit Dubois-Crancé, voilà qui serait fâcheux.
– Sacrebleu ! fit Kellermann, il faut empêcher cela.
– Diable, dit Mouton.
Et il tortilla sa moustache.
Les trois hommes de guerre expérimentés jugeaient du péril et des difficultés inouïes de l’entreprise, avec une haute compétence.
– Prendre d’assaut la pièce et la maison Danton, dit Saint-Giles, il n’y faut point penser. Le cimetière et cette grosse pièce, en trois décharges, dévoreraient une colonne, fût-elle de cinq mille hommes.
– Mais, dit Kellermann, on ne peut pourtant attaquer que de front.
– Pardon ! dit Saint-Giles, il y a le flanc gauche.
– Encore plus gardé ! dit Kellermann. Je vois trois murailles de jardin placées les unes derrière les autres en escarpement, la dernière dominant les deux autres.
– Et, fit observer le déserteur, ces murs sont percés de créneaux et de meurtrières ; un mur pris, les défenseurs se réfugient derrière l’autre.
– Je ne pense pas, dit Kellermann à Saint-Giles, que vous voulez attaquer par là. C’est impossible.
– Général, nous n’avons pas le temps d’établir une batterie pour démolir ces murs ; du reste, cette batterie ne tiendrait pas vingt minutes sous les feux croisés de l’ennemi. Il ne faut pas que la grosse pièce de l’ennemi tire un
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