La Bataillon de la Croix-Rousse
beauté merveilleuse sous les traits émaciés et contractés d’une sœur Adrienne, il en résultait que celle-ci n’attirait pas les regards de la masse.
Mais des voix murmurèrent :
– Le voilà ! Le voilà !
C’était Châlier qui entrait.
À sa vue, la salle tout entière se leva et le salua par des bravos enthousiastes.
Les royalistes surtout se montraient frénétiques. Le mot était donné pour que Châlier, se croyant vigoureusement appuyé, eût beaucoup d’audace et d’élan.
L’abbé Roubiès avait, de plus, calculé qu’il ne fallait exciter aucun soupçon, par conséquent il avait envoyé la consigne suivante à tous les groupes : « Hurler avec les loups ».
C’était laconique et pittoresque.
En conséquence, Châlier prit possession de la tribune au milieu d’un orage de vivats, de trépignements et d’applaudissements.
Le tribun leva la main ; il se fit un grand silence.
Pour s’imaginer ce que fut cette séance où Châlier devait être assassiné, il faut que le lecteur se rende compte de ce que fut ce fameux Club des Jacobins lyonnais qui tenait correspondance avec vingt départements.
Les séances de ce club de 1793 étaient un mélange de folie et d’héroïsme, de conceptions grandioses et d’utopies irréalistes, de purs dévouements et de louches ambitions, de propositions burlesques et de sublime éloquence.
Le même homme pouvait être, le même soir, ridicule et logique, au-dessous de tout comme orateur, et se relever tout à coup à des hauteurs prodigieuses.
Cette salle des Jacobins, très simple, prenait, à de certaines heures, un caractère imposant quand le public était soulevé par un beau mouvement.
Châlier surtout exerçait une grande action sur la foule et sur les esprits simples.
Mais si certains orateurs excitaient les passions et déchaînaient les colères, il arrivait que les divagations de certains fanatiques, débitées en mauvais style et en mauvais français justifiaient les rires des curieux venus là Dour s’amuser.
Malheureusement, il fallait étouffer les éclats de son hilarité dans son mouchoir, parce que la majorité de la salle « s’emballait », même sur les propositions les plus sottes, pourvu qu’elles eussent l’air d’avoir pour but le bonheur du peuple.
Les ignorants, remplis d’une foi aveugle, de moutons devenaient tigres, quand on se moquait d’eux et des fous auxquels ils croyaient.
Il y avait donc au Club des types de tribuns qui faisaient la joie des loustics mais ceux-ci ne s’en amusaient qu’en sourdine.
En revanche, le Club avait des orateurs de talent, qui développaient avec une sauvage énergie les théories sanguinaires dont s’épouvantait la bourgeoisie, car ces théories soulevaient des tempêtes de convoitises dans le cœur des pauvres.
On ne saurait nier que l’idéal des Jacobins et même des Hébertistes qui allaient plus loin encore, n’ait été l’amélioration du sort du plus grand nombre.
C’était le secret du succès de ceux qui prêchaient la doctrine.
Et comme la terre accaparée par la noblesse, comme le capital accumulé par la bourgeoisie se trouvaient mal répartis, le peuple qui le sentait acceptait aveuglément les remèdes empiriques que lui proposaient les charlatans ou les utopistes de bonne foi.
C’est ainsi qu’il applaudissait Cusset, nommé représentant à la Convention, lorsqu’il prêchait publiquement les dogmes de la loi agraire.
« Le temps est venu, disait-il, où doit s’accomplir cette prophétie : les riches seront dépouillés et les pauvres enrichis. »
Carpan était aussi encouragé par les bravos, quand il formulait ainsi son système :
– Si le peuple manque de pain, qu’il profite du droit de sa misère pour s’emparer du bien des riches.
Mais le plus écouté de tous était Châlier : il terrifiait les royalistes et fanatisait les républicains.
Ceux qui étaient venus pour rire, se moquer, conspuer, après l’avoir entendu, sortaient épouvantés, la terreur dans l’âme, en maudissant la Révolution.
D’autres, entrés royalistes, s’en allaient républicains.
Les historiens les plus prévenus contre Châlier constatent son éloquence extraordinaire, marquée au coin du mysticisme et inspirée par la Bible.
Lamartine, dans son livre des Girondins, où il est l’adversaire des Jacobins, où il rapetisse leurs hommes et les calomnie souvent, Lamartine qui a pris parti contre Châlier avec
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