La Bataillon de la Croix-Rousse
discours du citoyen Châlier qui allait com… commencer à parler.
Les jacobins trouvant très irrévérencieux que l’on ne prêtât point attention à leur idole, crièrent bravo.
Saint-Giles voulut se défendre et dit :
– Je rendais service à la République en faisant mon métier. Je dessinais.
La voix de la baronne riposta aigrement.
– Il… il… s’amusait à faire le… le… portrait d’une jolie citoyenne.
Saint-Giles se sentit écrasé par la vérité : la salle, du reste, lui criait d’un air farouche :
– Assis ! assis !
Les femmes laides, sûres que ce n’était pas elles qu’il croquait, prenaient des airs indignés.
Les hommes d’esprit riaient : les imbéciles semblaient prêts à se fâcher.
Devant ces dispositions, Saint-Giles haussa les épaules et prit le parti de se rasseoir, plein du mépris, du reste, pour ses concitoyens.
Mais il n’en avait pas fini avec la vindicte publique.
La baronne, sûre qu’il ne recommencerait pas le portrait, s’était éclipsée comme une souris.
En vain Saint-Giles chercha-t-il son croquis ; elle l’avait enlevé.
Non seulement Saint-Giles ne retrouva point son dessin, mais il eut à subir les mauvais regards et les grognements des nombreux niais qui se trouvaient dans la salle : cette colère contre le caricaturiste était soulevée par l’exorde de Châlier qui, dès son début, saisit l’occasion de cet incident pour entamer son discours.
Il se porta garant du civisme de Saint-Giles et de « ses vertus » ; on parlait ainsi en ces temps-là.
Mais, ce témoignage rendu, il stigmatisa l’emploi de la force contre les faibles.
Si bien qu’il y eut des trépignements contre Saint-Giles, qui comprit ce soir là que la popularité d’un homme tient à bien peu de choses.
Châlier repêcha Saint-Giles en disant que son mouvement de vivacité ne pouvait pas faire oublier ses services, mais que la légitime réprobation de toute une salle prouvait que le cœur du peuple était généreux.
Saint-Giles goûtait fort peu ces habiletés oratoires de Châlier et il allait risquer un éclat lorsque l’orateur tourna brusquement sur un autre sujet.
– Oui, s’écria-t-il, le peuple a l’âme compatissante pour l’opprimé et il a souffert quand il m’a vu, moi, son tribun, victime des vengeances d’une milice brutale.
Il continua sur ce ton et la salle éclata en transports d’amour pour Châlier, de haine pour ses ennemis.
L’incident « Saint-Giles » fut oublié.
Châlier, après avoir exploité en sa faveur le mouvement de pitié instinctive pour les persécutés, qui est un instinct des masses, lança son grand discours qui était un réquisitoire contre les prêtres.
Car il ne s’était point trompé sur la main qui l’avait frappé ; il avait reconnu celle des prêtres et les désignait à la fureur du peuple.
On lui avait promis l’appui de l’armée des Alpes, ses bataillons de Carmagnoles étaient déjà triplés, il ne pouvait croire que les bourgeois de Lyon oseraient, dans ces conditions, se lancer dans une révolte contre les représentants en mission qui, de l’armée, allaient revenir à Lyon.
Il prépara le peuple au massacre contre les prêtres et les nobles et il eût l’audace de s’écrier :
– Le grand jour de la vengeance arrive. Cinq cents têtes sont parmi vous qui méritent le même sort que celle du tyran (Louis XVI). Je vous en donnerai la liste, vous n’aurez qu’à frapper.
« Louis Blanc ».
Et, pour enflammer l’auditoire, il raconta le long martyre de l’humanité emprisonnée, volée, dépouillée, violée, tourmentée, brûlée, exterminée par les prêtres ministres de la religion du Christ.
Il raconta les horreurs de la persécution dirigée contre les Ariens, les massacres des Vaudois, le bûcher de Jean Huss, les guerres de religion, les abominations des dragonnades et les sanglants mystères de l’inquisition.
Il avait le don des expositions rapides, mouvementées, pleines de couleur et d’images saisissantes : il portait la conviction dans l’esprit par la lumière et la faisait pénétrer dans le cœur par la flamme.
Sœur Adrienne écoutait frémissante mais étonnée de ces accusations contre cette religion qu’elle croyait toute de bonté et de charité.
Un moment, elle se leva comme pour protester, mais Châlier la vit debout et, la couvrant de ses regards, il eut comme un pressentiment, car il
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