La Bataillon de la Croix-Rousse
encore : sa belle tête s’inclina, ses yeux s’emplirent de larmes et elle s’évanouit dans les bras de M me Saint-Giles.
Cette crise était une révélation, plus qu’un aveu.
Saint-Giles regarda sa mère et ils se comprirent.
Pendant cette longue promenade que le jeune homme venait de faire avec Adrienne, les beautés morales de celle-ci s’étaient révélées avec une grâce naïve à laquelle il eût été difficile qu’un artiste comme Saint-Giles pût résister.
C’était bien là l’idéal de jeune fille pure, noble, chaste, qu’il avait rêvée pour compagne dans la vie ; elle lui parut aussi grande que sa mère, avec une perfection en plus : l’élégance.
Et maintenant que cette défaillance d’Adrienne affichait sa tendresse, il semblait à Saint-Giles qu’une sorte de fatalité fréquente dans les crises sociales précipitait les délais ordinaires, les supprimait et sondait les destinées des êtres avec la rapidité des coups de foudre qui sillonnaient le ciel révolutionnaire.
Il oublia le passé si récent pour céder à un mouvement irrésistible.
– Ma mère, demanda-t-il, croyez-vous comme moi que des natures d’élite se jugent à première vue.
– Oui ! dit-elle.
– Auriez-vous foi dans Adrienne ?
– Comme dans ma fille. On lit dans son âme comme à travers le pur cristal.
– Bien ! Nous avons tous deux la même opinion.
Lorsqu’Adrienne ouvrit les yeux, elle trouva ses deux mains dans celles de Saint-Giles qui avait cédé les rênes à son frère.
– Ma chère Adrienne, dit-il, il ne faut pas voir les choses sous leur aspect le plus noir. On ne meurt pas autant que vous le supposez dans un combat : pour un qui tombe, mille survivent.
Et il chercha ainsi à la rassurer jusqu’à ce que l’on fût arrivé à la maison.
La voiture fut renvoyée et, en montant l’escalier, Saint-Giles dit à l’oreille de sa mère :
– Questionnez-la !
Il alla s’habiller en ouvrier dans son atelier et endossa la carmagnole.
C’était l’uniforme des bandes jacobines.
Saint-Giles prêt à entrer dans la fournaise qui s’allumait dans cette ville immense pour dévorer ses enfants ; Saint-Giles, artiste, qui n’avait dit que son premier mot, éprouva un serrement de cœur au moment de quitter cet atelier peuplé d’un chef-d’œuvre plein de promesses pour l’avenir.
Il regarda mélancoliquement la ligne des montagnes marquant l’horizon d’une raie bleuâtre et il laissa errer sa pensée :
– Que de jeunes hommes comme moi, dit-il, vont mourir, qui ont quelque chose là ! Ô liberté, pourquoi faut-il arroser les autels de sang humain !
Il songea à cette Adrienne qu’il s’était mis à aimer dès le premier soir, qu’il adorait saintement depuis qu’il avait lu dans ce cœur et dont il voulait faire sa femme.
– Encore, dit-il, si nous ne laissions rien derrière nous ! Mais ces femmes qui pleureront leurs fils, leurs frères et leurs fiancés, qui les consolera.
Il sentit qu’il s’attendrissait, releva la tête, et dit virilement :
– L’humanité s’amollirait s’il ne fallait pas de sacrifices pour conquérir son indépendance et sauvegarder sa dignité.
Levant la main sur Lyon d’où montait l’immense rumeur des agitations populaires, il s’écria :
– Salut à l’heure solennelle des combats héroïques qui va sonner pour tout homme de cœur. Soyons fidèle à notre devise.
La Liberté ou la ni – !
Quand Saint-Giles redescendit, la collation du soir était prête : repas frugal dans les habitudes lyonnaises.
Tous gardèrent un silence qui empruntait aux circonstances une morne solennité.
Adrienne, interrogée délicatement, avait répondu : Oui ! à M me Saint-Giles. Mais ce repas des fiançailles à la veille du combat avait un caractère de sainte tristesse : aucun de ces cœurs simples et de ces esprits droits n’essaya d’y échapper.
À la fin de la collation, M me Saint-Giles interrogea son fils d’un coup d’œil.
– Ma mère, dit-il, je crois que mon devoir est d’aller au Comité où les patriotes de Lyon ont reçu les représentants. Là, se distribuent les postes d’honneur où nous aurons à combattre.
– Va ! dit M me Saint-Giles et fais ton devoir.
Puis montrant Adrienne :
– Mais auparavant, dit-elle, je veux vous unir et vous fiancer, puisque vous vous aimez.
Et se levant, prenant la main de la
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