La belle époque
vis-à-vis.
— Il porte la signature du trésorier du comité d'organisation. Vous devez me remettre un reçu.
Alfred obtempéra, puis se releva, passa devant son bureau en tendant la main.
—J'irai certainement voir cette dame Garneau. Je ne doute pas que dans l'enthousiasme des célébrations, de nombreuses personnes voudront se vêtir à l'ancienne.
McDougall prit la main tendue, commenta :
— A tous les endroits où des pageants ont été tenus, l'engouement pour le passé a pris les proportions d'une épidémie. La moitié des spectateurs venaient costumés aux représentations.
Le marchand garda la main dans la sienne plus longtemps que nécessaire, les yeux dans ceux de son visiteur, puis il continua après un moment :
—Je suis certain que nous aurons l'occasion de nous revoir.
— Sans doute.
Un peu embarrassé, McDougall tourna les talons et s'engagea dans l'escalier. Au rez-de-chaussée, il s'arrêta un moment devant la caisse enregistreuse, alors que Marie complétait une transaction, pour déclarer pendant que la cliente s'éloignait:
— Au revoir, Madame.
— Monsieur, fit-elle en inclinant la tête.
L'homme fit trois pas vers la porte, s'arrêta un moment, songeur. Ce fut l'insistance de la poignée de main du propriétaire, un instant plus tôt, qui lui donna le courage de revenir vers la jeune femme. Après s'être assuré que personne n'entende, il murmura :
— Si je ne craignais pas de paraître effronté, je vous demanderais de venir dîner avec moi à midi.
— Si vous ne surmontez pas votre crainte, vous ne saurez jamais ce que je répondrais.
Le visiteur demeura un moment troublé, alors que le rouge atteignait ses oreilles, puis osa :
— Accepteriez-vous de venir dîner avec moi ? Il y a un petit restaurant dans la rue Sainte-Anne, un peu plus loin que la cathédrale anglicane.
—Je sais, je connais l'endroit. J'y serai à midi.
James McDougall répondit d'un sourire, inclina la tête en murmurant « À tout à l'heure », puis regagna enfin la porte.
En haut de l'escalier, Alfred demeurait immobile, la main sur la rampe. Son plaisir d'annoncer à son épouse le dénouement de la transaction l'avait entraîné à commettre une indiscrétion. Des yeux, il put constater que les vendeuses, occupées à ranger la marchandise nouvellement arrivée, ne devaient avoir rien entendu. À la fin, il regagna son bureau, désireux de retrouver sa contenance.
Au moment de quitter le commerce, Marie déclara d'une voix douce :
— Je vais manger à l'extérieur.
Alfred voulut protester, mais le pas de Gertrude dans l'escalier le força à garder le silence. Voyant sa patronne sur le point de sortir, une vendeuse vint chercher le lourd plateau des mains de la domestique pour le porter dans la pièce située à l'arrière du commerce. Sa collègue descendit bientôt de l'étage pour prendre son repas.
— Un morceau de fromage entre deux tranches de pain, précisa la jeune femme à son époux, cela convient très bien les cent vingt premiers jours de l'année, mais pour le cent vingt et unième, j'aimerais un peu de variété.
Cet intérêt pour un changement de régime pouvait s'interpréter de diverses façons. Il demanda tout de même :
— Tu souhaites que je t'accompagne?
— Non, nous ne pouvons laisser les employées toutes seules.
Quelques minutes plus tard, Marie entra dans le petit restaurant de la rue Sainte-Anne. James McDougall, assis à une table, surveillait la porte depuis un moment. Il se leva, attendit qu'elle arrive à sa hauteur pour déclarer en tendant la main :
— Je ne pensais pas que vous viendriez.
— Vous doutez déjà de moi ?
— Je veux dire que... vous n'êtes pas seule.
A nouveau, sa timidité lui rougit les oreilles, tellement que Marie s'amusa de son air embarrassé. Certainement la moins familière des deux avec ce genre de situation, elle arrivait à prendre la chose avec un certain détachement.
— Vous ne m'invitez pas à m'asseoir?
— ... Oui, oui, bien sûr. Je vous en prie.
Il s'empressa de tirer la chaise placée en face de la sienne, la poussa sous les fesses de sa compagne.
La jeune femme portait un chapeau assez large, comme le voulait la mode, sans autre décoration qu'une plume d'un noir de jais sur le côté. Les beaux jours de mai lui permettaient de se contenter d'une simple veste passée sur son corsage. Sa ténue
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