La belle époque
pu se détendre avec nous.
La famille se promenait sur le terrain de l'exposition, sur les plaines d'Abraham, pas très loin du Manège militaire et du Pavillon des patineurs. Des centaines de personnes se tenaient là, attirées par quelques manèges et les nombreuses compétitions sportives tenues le jour de la fête nationale. Un moment, le père chercha ses mots, puis commença :
—Tu n'as jamais envie d'aller marcher toute seule, pour explorer la ville à ta guise ?
— Tu ne veux pas que je le fasse, tu dis que je suis trop petite. Mathieu m'accompagne partout.
— Mais tu en as envie ? Maman n'est plus une petite fille.
L'homme s'était arrêté pour la regarder dans les yeux. Il la
tenait par la main depuis leur départ de la boutique. Ils étaient passés par la terrasse Dufferin afin de voir si un orchestre se produisait sur la scène construite à l'étage du kiosque, mais
les flonflons les avaient très vite lassés.
— Oui, j'aimerais marcher toute seule, aller où je veux... reconnut la fillette. Elle ajouta en regardant son frère avec un sourire : Même si Mathieu est toujours très gentil avec moi.
— C'est un peu la même chose pour maman. Moi, je m'absente parfois, mais Marie est toujours au magasin.
En prononçant ces mots, Alfred tentait de se convaincre, tout en rassurant la fillette. Ce n'était que cela, un besoin d'air frais. Sa femme reviendrait reposée, prête à assumer son rôle. Thalie demeura songeuse un moment, puis acquiesça de la tête. Le trio se remit en marche. Il se dirigeait vers un petit enclos sommaire, construit par un agriculteur désireux d'arrondir son revenu en distrayant les enfants de la ville. Une demi-douzaine de poneys permettaient à ceux-ci de tâter de l'équitation en tout sécurité.
— Oncle Alfred, fit une voix derrière eux, vous allez bien?
Le marchand se retourna pour voir Edouard venir vers lui, tout sourire. Le jeune homme salua les enfants avant de remarquer, amusé :
— Aujourd'hui, vous semblez être célibataire, tout comme moi.
— Maman est allée se promener, précisa Thalie avec autorité, peu désireuse d'entendre discuter du célibat paternel, même de courte durée.
— Marie ressentait le besoin de se reposer de moi, compléta le père avec un demi-sourire. Tu viens monter sur l'un de ces poneys ?
Sans attendre de réponse, encadré de ses enfants, Alfred continua son chemin vers l'enclos. Peu habitué à une réception aussi fraîche, Edouard ne perdit pas son sourire et leur emboîta le pas en disant :
— Je suis juste un peu trop grand pour ces montures.
— Dans ce cas, quel plaisir t'apportera notre fête nationale? À part la messe où tu es certainement allé ce matin, un petit drapeau à la main.
— Il y aura une partie de baseball tout à l'heure. J'irai voir si le niveau du jeu en vaut la peine.
La famille était arrivée devant l'enclos construit de perches de cèdre. Le marchand paya sans discuter la somme demandée par l'agriculteur, puis se dirigea vers les seuls poneys toujours privés de cavaliers. Thalie jeta son dévolu sur une bête noire et blanche.
— Je peux mettre une selle de fille, offrit un adolescent, le calque, en plus jeune, du propriétaire de cette petite entreprise de loisir.
Méfiante, la fillette regarda le curieux petit siège muni d'une courroie de cuir que le préposé tenait à la main, puis répondit en montrant du doigt le dos de la bête :
— Cette selle-là me convient tout à fait.
Elle monta sur un petit escabeau, caressa de la paume le cou de l'animal, puis sans hésiter passa une jambe au-dessus du poney pour s'asseoir à califourchon.
— Les filles ne montent pas comme cela, commenta Mathieu. Tu montres ton jupon, et même ton pantalon, aux gens.
Comme toutes les gamines de son âge, sa robe, tout comme son sous-vêtement, lui arrivaient aux genoux.
— Si cela ne plaît pas aux gens, qu'ils regardent ailleurs, déclara-t-elle, péremptoire.
Sans insister, son frère secoua la tête et grimpa sur sa monture, toute noire. L'adolescent de service prit la bride du premier poney et le guida vers les grandes pelouses des plaines d'Abraham. Les autres bêtes, reliées à la première par une corde, suivirent docilement l'une derrière l'autre.
— Assumerez-vous un rôle lors des grandes représentations théâtrales qui nous attendent ? demanda Edouard.
—
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