Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
moment où Thalie se penchait vers le trottoir, une jeune femme sortit du magasin de vêtements.
    —    C'est maman, murmura-t-elle.
    Mathieu se pencha aussi, regarda sa mère descendre la rue de la Fabrique d'un pas vif. Contrairement à son habitude, ses cheveux noirs, ondulés, pendaient sur ses épaules et en haut de son dos. Son chapeau de paille, décoré d'un ruban bleu, lui donnait un air plus juvénile encore que d'habitude. Le mouvement de ses hanches, en marchant, rappelait la femme amoureuse.
    —Je pense qu'elle a de nouveau envie de se détendre. Sans nous.
    Le dépit marquait la voix du garçon. Sa sœur tourna ses yeux vers lui pour demander :
    —    Tu crois que papa sera triste, encore une fois ?
    Il eut envie de répondre par l'affirmative, mais l'inquiétude dans les grands yeux sombres lui fit déclarer :
    —Je ne sais pas.
    Si les ateliers, les manufactures, les commerces et les bureaux étaient fermés, cela ne signifiait pas que le travail fut interdit. L'affluence des derniers jours mettait à mal les rayons du grand magasin Picard. A force de vendre, on n'arrivait plus à remplir les étagères. Edouard payait son école buissonnière des derniers jours par une conscription inattendue. Il dirigeait l'équipe de volontaires qui, contre une rémunération conséquente, se chargeait de remettre les choses en état.
    —    Avec toutes ces transactions, vous devez être aussi riches que les millionnaires des Etats-Unis, remarqua Ovide Melançon en posant sur le sol les boîtes apportées de l'entrepôt avec un diable.
    Au premier coup d'œil, le garçon jugea qu'elles devaient contenir au moins douze douzaines de pantalons pour hommes. Que les gens parcourent parfois des centaines de milles en train ou en bateau pour venir à Québec, et une fois sur place passent une demi-journée à regarnir leur garde-robe, le laissait perplexe... mais heureux pour le chiffre
    d'affaires de l'entreprise familiale.
    —    Si nous étions si riches, crois-moi, nous habiterions ailleurs que dans ce gros village pris sous la glace six mois par année.
    —    Tout de même, fit l'autre, gouailleur, les sous doivent s'accumuler.
    Edouard ne put dissimuler son agacement:
    —    Mais qu'est-ce qui t'empêche de profiter de la manne et d'ouvrir ton propre commerce ?
    —    ... Ce n'est pas si simple.
    —    Je me disais, aussi.
    Une quarantaine de personnes préféraient sacrifier une journée de congé contre une rémunération moyenne de moins d'un dollar. Cela suffirait pour vider les entrepôts afin de regarnir les rayons. Des vêtements pour homme, le fils du patron passa à ceux des femmes. Plusieurs vendeuses prenaient des robes d'indienne ou de mousseline de cartons éventrés posés sur le sol pour les suspendre à des cintres. La même activité fébrile régnait dans le rayon des chaussures. En réalité, avec l'affluence des touristes, un seul département souffrait d'une chute des ventes : celui des meubles. Personne ne retournerait à la maison avec une commode dans sa valise, et les Québécois préféraient assister aux commémorations plutôt que de renouveler leur mobilier.
    Au rez-de-chaussée, Edouard constata la même agitation. Quelqu'un avait reconstitué les provisions d'enveloppes et de papier sur les tables placées près du bureau de poste et de télégraphe improvisé. Les articles pour fumeur, ou d'écriture, tout comme les montres, représentaient les présents rêvés pour les amis ou les membres de la famille restés à la maison.
    Près de l'ascenseur, une jeune fille, Ernestine Fafard, celle qui lui avait fait les yeux doux le jour de la Saint-Sylvestre, lança avec son sourire engageant:
    —    Nous allons manquer de cartes postales.
    —    Dans l'entrepôt...
    —    Plus une seule : tout ce qui reste se trouve là, répondit-elle en montrant le présentoir.
    —    Dans ce cas, dès demain je tenterai de voir avec les imprimeurs de la ville...
    Un tintamarre venu de l'extérieur l'interrompit. Edouard, comme tous les employés présents dans le commerce, se déplaça vers les vitrines donnant sur la rue Saint-Joseph. Des badauds massés sur les trottoirs bloquaient la vue, alors mademoiselle Fafard déclara en tournant les talons :
    —    Montons, ici on ne voit rien. Ça doit être la parade.
    Les chaussures de tout ce monde claquèrent dans l'escalier, et un moment plus tard, les employés se pressaient devant les grandes

Weitere Kostenlose Bücher