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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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petit parapet, prit sans discuter la main tendue de son frère. Après s'être assuré qu'aucun véhicule ne venait, celui-ci traversa la rue Port-Dauphin. Ils passèrent sous les fenêtres du palais de l'archevêque, longèrent le mur de la basilique.
    Les enfants s'engagèrent bientôt dans la rue de la Fabrique. Très vite, ils se trouvèrent devant les vitrines d'un commerce de vêtements pour dames. Un grand panneau de bois portait le mot ALFRED en capitales. Tous les deux avaient commencé à apprendre leurs lettres à partir de ce prénom, celui de leur père. De chaque côté de l'entrée, un mannequin proposait une jolie robe aux regards des passants, l'une convenant tout à fait pour l'été qui se terminait, l'autre annonçant déjà la collection d'automne. Aux pieds de ces deux femmes de plâtre, des chapeaux, des gants, des bas, des rubans et des dentelles rappelaient l'éventail des marchandises proposées.
    Mathieu tint la porte ouverte pour une dame élégante, prononça avec déférence un «Au revoir, Madame» très professionnel déjà, ce qui lui valut un sourire et un «Merci, Monsieur», puis entra en tenant toujours sa sœur par la main.
    —    Il y a eu un grand bruit, lança Thalie en mettant les pieds dans la bâtisse.
    Un homme grand, vêtu avec recherche, la mi-quarantaine, des fils d'argent dans les cheveux, quitta la caisse enregistreuse pour venir vers elle en tendant les bras, puis la souleva de terre. Bientôt, la gamine serait trop lourde pour avoir encore droit à ce privilège, autant en profiter.
    —    Je sais, ma petite fée. Sans doute le tonnerre...
    —    Il n'y a aucun nuage dans le ciel, rectifia Mathieu de nouveau.
    Dans le commerce, deux ou trois clientes se regardèrent, un peu d'inquiétude dans les yeux. Marie Buteau, devenue madame Alfred Picard en 1897, se tenait devant l'une d'elle, son ruban à mesurer dans les mains, son geste suspendu.
    —    Parfois, cela arrive l'été, quand il fait très chaud... tenta encore d'expliquer le père.
    Toutefois, le climat ne se révélait pas torride au point de déclencher ce genre de phénomène.
    —    ... Je m'excuse, commença la jeune femme à l'intention de Marie. Je reviendrai demain. Ma fille est seule à la maison...
    —    Oui, bien sûr, je comprends.
    En s'esquivant de la sorte, elle donna le signal de la retraite. Toutes les autres clientes, même celles qui se trouvaient à l'étage, lui emboîtèrent le pas. Les deux vendeuses descendirent sur leurs talons, fixèrent des yeux un peu inquiets sur leur patron.
    —    Les grands bruits sont mauvais pour les affaires, déclara celui-ci d'un ton faussement léger.
    Thalie refusa obstinément de retourner sur le sol, Mathieu vint se placer près de sa mère, quêtant des yeux une caresse. Pendant de longues minutes, chacun fit mine de s'occuper. Puis la clochette qui signalait l'entrée des clients s'agita de nouveau. Un Pierre Garneau tout effondré, le libraire qui tenait boutique rue Buade, de l'autre côté de la petite place, passa la tête dans la porte entrouverte [jour demander :
    —    Vous avez entendu la nouvelle ?
    —    Seulement un grand «broum»...
    —    Le pont de Québec s'est effondré.
    Alfred Picard demeura interdit, alors que Thalie resserrait son étreinte autour de son cou.
    —    ... Comment le savez-vous ?
    —    Un ami de Sillery m'a téléphoné.
    Par les grandes vitrines, le commerçant remarqua une activité nouvelle dehors. Des gens s'interpellaient sur les trottoirs, les cochers arrêtaient leur véhicule au milieu de la chaussée afin de participer aux conversations.
    —    Il y a des victimes? demanda Alfred d'une voix blanche.
    —    Tous ceux qui travaillaient sur cette foutue structure
    sont allés au fond du fleuve.
    Très vite, au gré de ses souvenirs des articles de journaux sur le sujet, Alfred estima qu'une centaine d'ouvriers devaient se trouver sur ce chantier, avec en plus des contremaîtres et des ingénieurs. Tout contre lui, les grands yeux bleus de sa fille laissèrent couler des larmes.
    —    Je continue mon chemin, déclara Pierre Garneau. Je voulais juste vous mettre au courant.
    La porte se referma avec le tintement joyeux de la clochette. Marie s'était rapprochée de son époux, inquiète, de même que les deux jeunes vendeuses. A la fin, elle murmura :
    —Je vais monter avec les enfants.
    —    Bonne idée... Nous allons rester ici une petite

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