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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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son gros bouquet dans le commerce, devant sa tendre épouse, pour que tous puissent le voir. Sur la table de la salle à manger, ou dans le salon familial, le message aurait échappé aux véritables destinataires, les habitants de la bonne ville de Québec.
    Après les plaisirs coupables, le chenapan rendait son manteau d'innocence, revêtu le jour de son mariage, plus visible encore.
    Quelques dizaines de personnes battaient la semelle sur le trottoir, devant un petit immeuble de la rue Sainte-Anne ne payant pas de mine, avec sa façade percée de deux portes, mais sans aucune fenêtre. Plutôt étroit, il s'allongeait sur quatre-vingts pieds peut-être. Un large panneau portait le mot «NICKEL », en grandes lettres dorées sur un fond blanc. Mieux aurait valu choisir une teinte plus foncée, car l'observateur attentif distinguait encore l'ancienne inscription, «Tara Hall».
    —    Tu es certain que cela convient aux enfants ? questionna Marie, un peu soucieuse.
    —    Les journaux assurent que l'endroit se révèle des plus respectables, assura son mari, avec des spectacles inoffensifs et une clientèle très polie. Le Soleil précisait même que personne ne sifflait, comme dans certaines salles de la Basse-
    Ville.
    Son sourire indiquait que ces endroits moins bien tenus lui étaient familiers. En ce premier dimanche de septembre 1907, Alfred avaient pensé emmener toute sa famille dans le nouveau cinéma de la Haute-Ville, aménagé dans un ancien théâtre. Cela soulignerait bien la fin des grandes vacances. Pour l'occasion, Marie avait revêtu sa meilleure robe, d'un bleu soutenu. Son épaisse chevelure d'un noir intense, avec de fines boucles, formait une lourde tresse qui lui atteignait le haut des omoplates. Thalie affichait les mêmes yeux, la même coiffure et une robe du même bleu.
    Les portes s'ouvrirent enfin, celle de gauche pour permettre aux spectateurs rassasiés d'images mouvantes de sortir, celle de droite, d'entrer. Alfred paya les vingt cents que coûtait l'entrée de quatre personnes. C'était là le prix habituel partout en Amérique, ce qui expliquait la présence d'innombrables endroits dont le nom comprenait le mot « nickel ».
    Après un petit hall, ils pénétrèrent dans une grande salle faiblement éclairée. Alfred conduisit sa petite famille à la quatrième rangée, comptée depuis la scène, de la trentaine qui s'alignaient là. Mathieu chercha un siège bien en face de l'écran d'une vingtaine de pieds de large, et sa mère lui demanda de se déplacer encore un peu vers la gauche. Elle se retrouva entre ses enfants, Thalie entre ses parents. La tête posée contre l'épaule de son père, la fillette remarqua, les yeux au plafond :
    — C'est très beau.
    Les murs portaient des appliques de plâtre et le plafond, des dessins évoquant des scènes des classiques du théâtre anglais. La peinture semblait écaillée par endroits et l'eau de pluie, infiltrée par des trous dans la toiture, laissait de longues tramées plus sombres. Quant aux fauteuils, leur tissu
    de peluche rouge paraissait élimé.
    —Je ne veux pas te décevoir, mais je pense que si toutes les lumières étaient allumées, les lieux te paraîtraient plutôt délabrés.
    —    Les choses sont parfois plus jolies dans le noir.
    —    Parfois.
    Les conversations d'une centaine de personnes s'interrompirent bien vite quand une lumière intense toucha la toile placée au fond de la salle. Des lettres tremblantes apparurent en son centre, Le Royaume des fées, avec une traduction pour les spectateurs de langue anglaise, majoritaires. Pour un film muet, ce genre de précaution serait rarement utile. Près de l'écran, une dame pianotait avec entrain, afin de souligner l'action du film.
    Après plus de quarante-huit heures, la ville demeurait encore sous le choc, abasourdie par la catastrophe. À Caughnawaga, à Lévis et dans les villages environnants, et même dans quelques paroisses de Québec, de nombreuses cérémonies funéraires avaient été célébrées ce matin-là, donnant une solennité particulière à la messe dominicale. Les corps des victimes américaines, enfermés dans des cercueils soigneusement clos, roulaient vers leurs familles dans des wagons de marchandises.
    Les principaux acteurs de la Société du pont de Québec se retrouvèrent en début de soirée dans le bureau du maire de la ville. L'hôte commença par verser de bonnes rasades de cognac dans trois verres, puis les

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