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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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amer pour le laissé-pour-compte.
    —    Alors ne te limite pas aux demoiselles élevées sur ce foutu plateau. Mon père, affublé de deux enfants insupportables, a déniché la plus jolie candidate, née à Saint-Prosper-de-Champlain. Dans la Haute-Ville, tout le monde se marie entre cousins. Si cela ne vaut rien pour les animaux de ferme, imagine pour les humains. Notre petite bonne, Jeanne, ferait une bien meilleure épouse que ma sœur.
    Au moment de rencontrer Elisabeth, Thomas Picard traînait à ses basques deux enfants et une épouse grabataire. Cela, le garçon préférait ne pas l'ajouter à la nomenclature. Cette fois, l'amoureux transi ne put s'empêcher de sourire franchement.
    —    Je tâcherai de m'en rappeler dans quelques années, si la domestique est encore libre, bien sûr. Tu tires de ta belle-mère tous ces éléments de la sagesse agricole ?
    —    Peut-être aussi de mon grand-père, qui a commencé comme laitier dans Saint-Roch. Je ne l'ai pas connu. Mon père, il me semble, a déjà prononcé des paroles de ce genre devant moi. Mais cette sagesse peut tout aussi bien être innée !
    —    Et tu m'as entraîné à la morgue pour me conditionner à entendre ce discours stupide ?
    Cette fois, ce fut au tour d'Edouard d'offrir une mine embarrassée.
    —    Non. J'avais trop peur d'y aller seul. Devant un témoin, je savais que je donnerais le change, quitte à verser des larmes discrètes plutôt que d'éclater en sanglots.
    —    Alors pourquoi n'es-tu pas resté avec ton adorable belle-mère, aujourd'hui? Rien ne te forçait à aller à cet endroit.
    —    Si je ne l'avais pas fait, son regard m'aurait hanté pendant toute mon existence. Ce gars-là est resté deux bonnes heures à voir la marée monter, jusqu'à le submerger. A la fin, il hurlait de peur en me broyant les avant-bras de ses mains...
    Les derniers mots demeuraient à peine audibles, et les larmes revenaient.
    —    Tu oublieras, murmura son compagnon.
    —    Non seulement je ne l'oublierai jamais, mais je tiens à me souvenir. Toutefois, pas comme hier soir. De l'avoir vu comme cela, sur ses morceaux de glace, le visage calme, presque serein, me réconcilie avec la mort. Ce n'est qu'un long sommeil sans rêve...
    Après avoir cité Shakespeare sans en avoir l'air, le grand garçon termina son repas en silence. L'image du cadavre de sa mère, émacié, sentant la merde, exsangue dans la chambre surchauffée, traversa son esprit. Au fond, celle du jeune noyé lui paraissait plus rassurante, presque amicale. Il chercherait son nom dans les listes des victimes publiées dans les journaux du soir. Ce ne serait pas difficile à trouver, les travailleurs aussi jeunes ne devaient pas être si nombreux. Peut-être se présenterait-il aux funérailles. A tout le moins, il ferait chanter une messe pour le repos de son âme.
    —    Accepterais-tu de passer voir mon père, le temps de lui dire que je vais mieux ? Hier soir, je n'offrais pas mon meilleur visage...
    —    Si tu veux.
    Quelques minutes plus tard, les deux jeunes gens s'arrêtaient un moment au troisième étage, du côté de l'administration, avant de regagner la Haute-Ville.
    Marie avait bien deviné: pour son époux, la réunion du Parti conservateur s'était allongée jusque tard dans la nuit. Elle avait entendu une porte s'ouvrir, puis se refermer. Le lendemain, à l'heure du dîner, Alfred s'absenta un moment. A son retour, il plaça une grande gerbe de fleurs sur le comptoir, près de la caisse.
    —    Ce n'est pas nécessaire, tu sais, murmura-t-elle. Tu ne m'as jamais menti sur notre situation. Ce n'est pas comme si tu me trompais.
    L'homme accusa le choc, s'assura que personne ne se trouvait à portée de voix avant de répondre, hésitant :
    —    Ce n'est pas cela. Tu sais combien j'ai de l'affection pour toi... C'est simplement ma façon de l'exprimer.
    —    Tu n'as pas à être aussi... ostentatoire.
    Comme une cliente faisait tinter la clochette de la porte d'entrée, l'épouse lui adressa un regard timide en guise de clôture à la discussion. Le commerçant se ressaisit, retrouva immédiatement son sourire professionnel pour se diriger vers la nouvelle venue.
    « En réalité, songea Marie, hier il ne trompait personne ! La duplicité, je la vois maintenant, sous mes yeux.» Après une incartade qui laissait au moins un complice capable d'en témoigner, sa conquête d'un soir, voilà que l'homme plaçait

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