La belle époque
cinématographiques ne s'améliorent vraiment.
Quand Parent eut regagné son siège près de ses collaborateurs de la Société du pont de Québec, le maire Garneau rappela :
— Nous avions convenu de reporter la célébration en 1909, pour mettre en évidence les grandes réalisations du Canada français et marquer le début d'une ère nouvelle pour Québec.
— On peut toujours s'en tenir à la date convenue, plaida son prédécesseur.
— Mais ce foutu Champlain a fondé la ville en 1608 ! Fêter le trois cent unième anniversaire n'aurait pas de sens.
Parmi les motifs qui, l'année précédente, avaient conduit les échevins à choisir de nouveau Garneau pour occuper le fauteuil de maire, il y avait son allure d'anglais élégant, raide et réservé. Cela paraissait convenir pour l'accueil de tous les invités de marque lors du tricentenaire, dont la plupart viendraient du Royaume-Uni. Le flegme qu'on lui prêtait ne l'empêchait pas de s'impatienter parfois.
— A la limite, on fera une fête plus petite, entre nous, insista-t-il, mais l'an prochain.
— Sans compter que si on célèbre en 1909, intervint Thomas, ce sera souligner notre impuissance, je veux dire celle des libéraux et peut-être de tous les Canadiens français,
à mener un projet d'envergure.
Le regard des deux autres se posa sur lui, comme s'il révélait une vérité qui leur avait échappé jusque-là. L'homme précisa encore :
—Mais si nous faisons une grande fête en 1908, bien réussie, chacun oubliera ce drame. Au lieu de se présenter devant les électeurs à la suite d'un échec cuisant, ce sera avec une fierté nationale renouvelée. Je parle encore ici des Canadiens français, évidemment...
— Laurier lui-même ne tenait pas du tout à ces célébrations, opposa de nouveau Parent.
— Auparavant, le tricentenaire paraissait superflu, nous avions une grande réussite technologique à montrer: le pont! Maintenant, ces fêtes deviennent une absolue nécessité, précisa encore le marchand avec un sourire en coin.
Le regard de Parent témoignait de son incompréhension. Ce fut Garneau qui expliqua :
— Toute l'Eglise catholique se mobilise pour fêter le bicentenaire de la mort de monseigneur de Laval. Le digne prélat a eu la mauvaise idée de quitter ce monde en 1708.
— Et parmi les personnes mobilisées, il y a bien sûr l'Association catholique de la jeunesse canadienne et les milieux nationalistes en général. Tout Québec s'émouvra de voir ces jeunes collégiens, des croisés des temps nouveaux, désireux de nous préserver des ravages des idées délétères modernes, compléta Thomas. Pour eux, moderne est synonyme de libéral.
— Les mêmes garçons qui se pressent devant les tribunes de la Ligue nationaliste, qui collent les articles d'Olivar Asselin ou d'Omer Héroux dans de grands cahiers de tapissier, qui pensent que Bourassa est la réincarnation de Papineau, renchérit encore Garneau.
Simon-Napoléon Parent laissa échapper un sifflement un peu désabusé. Thomas murmura, dépité lui aussi :
— Et ces gens-là ont déjà deux députés nationalistes à la Chambre des communes, poursuivit Thomas. Il faut utiliser Champlain pour faire oublier Laval. Un explorateur contre un prélat.
— Un homme qui voulait construire un nouveau royaume sur terre, contre celui qui rêvait d'apporter des âmes à Dieu, conclut Parent pour montrer qu'il comprenait. Monsieur Picard, si je vous avais choisi comme organisateur politique, je serais peut-être encore maire de Québec et premier ministre.
L'homme se révélait bien flatteur, mais plutôt naïf, ou alors cynique. Thomas figurait parmi ceux qui avaient fomenté son renversement. Il se leva de nouveau, cette fois résolu à ne pas revenir sur ses pas. La main sur la poignée de la porte, il déclara encore :
— Je vous laisse régler cela avec Wilfrid. Après tout, je suis maintenant un simple fonctionnaire.
Quand il eut refermé derrière lui, Thomas esquissa un sourire à son compagnon en commentant :
— Notre collègue et ami semble ressentir une certaine nostalgie à l'égard du temps où il occupait des fonctions officielles.
Garneau regarda en direction de son grand fauteuil de maire, derrière un lourd bureau, à l'autre bout de la pièce.
— On rallie difficilement des appuis nombreux, quand on ne peut pas parler de façon audible à plus de deux
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