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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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tendue de soie bleue se trouvait juste au-dessus de la salle à manger, avec laquelle elle partageait une grande baie vitrée. Deux fauteuils judicieusement placés permettaient de profiter du soleil. Le lit, plutôt étroit, offrait aux regards des draps rose et blanc encore défaits.
    —    Une idée de mes parents, justifia-t-elle : les domestiques profitent du congé de la fête du Travail.
    L'idée de s'en occuper elle-même n'effleurait pas Eugénie. Les petites corvées, qui allaient de soi au pensionnat, devenaient facilement insupportables à la maison. La jeune fille ne décolérait pas depuis le matin, et elle attendait le premier tête-à-tête pour exprimer sa frustration :
    —    Tu ne devineras jamais ce que cet imbécile a fait !
    —    Qui cela ?
    —    Edouard ! Tu connais un autre imbécile ?
    Le rose monta aux joues de la visiteuse au souvenir de sa dernière rencontre avec le garçon. Un autre qualificatif lui venait à l'esprit.
    —    Il m'a présenté un employé de mon père, en disant que j'étais une fille à marier.
    —    ... Mais tu es une fille à marier.
    —    Ne te moque pas de moi, tu sais ce que je veux dire !
    Élise Caron, fille de médecin, comprenait très bien. La suggestion était parfaitement ridicule, elle devinait combien la scène avait dû être embarrassante. Pourtant, la curiosité lui fit demander :
    —    Ce garçon, comment était-il ?
    —    ... Grand, noir de cheveux, trente ans environ, peut-être un peu plus.
    —    Beau?
    Eugénie se mordit la lèvre inférieure, un peu honteuse, puis chuchota :
    —    Dans le genre rustique, oui. Mais mon idiot de frère, continua-t-elle après une pause, ne perd rien pour attendre. Lui, il restera certainement sur le carreau, quand ce sera le temps de faire des visites dans les salons.
    —    ... Cela m'étonnerait beaucoup.
    Des joues, le rouge monta aux oreilles d'Élise. Mieux valait pour elle changer de sujet:
    —    Que voulais-tu me dire de si pressant, justifiant de quitter la table ainsi? Il y a certainement autre chose que l'humour douteux de ton frère.
    —    L'autre soir, quand je suis allée chercher de l'eau dans la cuisine...
    —    Pour débarbouiller Edouard de tout ce sang ?
    —    Oui, oui, ce soir-là. Fernand est venu avec moi. Il m'a demandé la permission de venir à la maison.
    Son amie prit un sourire espiègle pour demander:
    —    Pour le bon motif?
    Les jeunes filles de la Haute-Ville ne pouvaient en souffrir d'autre. Une seule privauté ruinerait irrémédiablement leur réputation, construite tout au long de leur existence passée.
    —    Evidemment. Tu aurais dû le voir bredouiller...
    Un rire un peu cruel suivit ces mots. Quoique le dénouement ne faisait pas de doute, Elise demanda :
    —    Qu'as-tu répondu ?
    —    D'aller voir ailleurs, bien sûr. Que pouvais-je dire d'autre ? Tu l'as regardé ?
    —    Sa famille est très respectable, et puis il héritera de l'étude de son père.
    Ces arguments pouvaient, pour certaines, faire oublier un embonpoint précoce et une calvitie prochaine. Elise s'inquiétait déjà un peu que personne, outre le collègue de son père, n'ait demandé le privilège de visiter son domicile. Eugénie trouva le bon sens de changer de ton :
    —    De toute façon, même s'il était plus beau, il est bien trop jeune pour penser au mariage. Vingt ans tout juste, je crois. Avant la fin de ses études, c'est prématuré.
    —    Bien sûr, je comprends. Quel âge a Edouard ?
    —    Dix-sept ans, bientôt dix-huit... Mais pourquoi poses-tu cette question ? Tu ne veux pas dire qu'il t'intéresse, tout de même ? poursuivit-elle après une hésitation.
    Eugénie ne pouvait concevoir qu'une personne puisse prendre son frère au sérieux, encore moins le voir comme un parti convenable.
    —    Non, bien sûr que non, protesta l'autre. De toute façon, j'aurai coiffé la Sainte-Catherine avant qu'il ne soit en âge de se marier. Si Fernand est trop jeune, alors lui...
    Dans la bonne société de Québec, à peine sortie du couvent une jeune femme devait commencer la quête du bon parti. Les plus chanceuses y consacraient un an, tout au plus deux. Ensuite, pour les autres, l'horloge tournait bien vite, et à vingt-cinq ans toutes les laissées-pour-compte devaient s'accommoder du statut de vieilles filles. Après cela, le seul espoir demeurait le décès inopiné d'une femme en

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